Bourrasque

un blog qui parle d'économie et de politique

E.Macron à 51,5% face à Marine Le Pen, le plus bas historique face à l'extrême droite

Ami Macroniste c'est à ton tour de faire un effort pour faire barrage à l'extrême droite.

Publié le 6 avril 2022

Pour la première fois de l'histoire de la Vème République, une candidate d'extrême droite est en passe de remporter l'élection présidentielle. Les derniers sondages1 étudiant l'hypothèse d'un face-à-face entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen donnent désormais des scores extrêmement serrés: 51,5% pour le Président sortant, contre 48,5% pour la candidate du Rassemblement National. Un écart de seulement 3%, d'autant plus faible qu'il se situe en dessous de la marge d'erreur de ce sondage (3.1%). Et la dynamique n'est pas réjouissante:

Évolution des scores de Macron vs Le Pen dans l'hypothèse d'un face-à-face, du 9 Mars au 4 avril

Alors certes, la victoire de Le Pen n'est pas acquise − les sondages ayant notamment eu tendance à sur-estimer le vote pour Marine Le Pen de 3 à 4 points en 2007 − mais la menace est bien réelle.

Comment faire barage à l'extrême droite:

Après 2002 et 2017, la stratégie du front républicain pour faire barrage à l'extrême droite au 2ème tour semble aujourd'hui proche de la rupture, et quoi qu'il arrive il est d'ors et déjà acquis qu'en cas d'affrontement avec Emmanuel Macron au second tour, Marine le Pen réaliserait un score historique pour sa famille politique.

Pourtant, ami Macroniste il existe une manière d'empêcher Marine Le Pen de remporter l'élection présidentielle: faire barrage lors du premier tour et l'empêcher ainsi de se retrouver à mettre le président sortant en ballotage en face-à-face.

Oui, ça veut dire mettre un bulletin Mélenchon dans l'urne et je sais que cette idée te révulse. Mettre un bulletin en faveur d'un candidat que l'on déteste viscéralement n'est pas chose agréable. Mais les électeurs de gauche l'ont fait en 2002, en votant sans hésiter pour Chirac, un président sortant qu'ils haïssaient, tout comme une majorité d'entre nous l'a fait en 2017 en mettant un bulletin Macron dans l'urne, et tu peux être sûr que ça nous en coûtait.

Et il y a pour toi une différence de taille: pour l'électeur de gauche qui mettait un bulletin Chirac ou Macron en l'urne, ça voulait dire passer outre la rancœur de la défaite et accepter de participer à l'accession au pouvoir d'un adversaire politique. Mais pour un électeur de Macron aujourd'hui, la situation est bien différente: Macron sera au second tour quoi qu'il arrive, il a bien assez d'avance au premier tour pour ça. Et dans le cas d'un face, entre Macron et Mélenchon, le président sortant a bien plus de marge que face à Marine Le Pen 2.

Ce que je te demande n'est donc pas d'élire Mélenchon à la présidence de la république, mais seulement de faire l'effort de voter pour lui au premier tour, pour chasser l'extrême droite du deuxième et mettre enfin un terme à la lente montée de l'extrême droite dans ce pays.

De l’air aux océans, la civilisation contemporaine souille tout ce qui l’entoure Montage, «Beach strewn with plastic debris» et «Low visibility due to Smog at New Delhi Railway station» par Sumita Roy Dutta
Le 12 mars 2018

La taxe à rendement nul, un moteur pour la transition écologique

L’essentiel de nos problèmes environnementaux peuvent être résumés en une phrase : «Nous consommons trop de ressources naturelles». Nous consommons trop d’énergie, ce qui nous fait rejeter des quantités phénoménales de CO2 dans l’atmosphère; nous consommons trop de plastiques, engendrant une pollution massive des océans; mais nous consommons aussi trop d’eau potable, trop d’hélium et trop de cuivre. Aujourd’hui même le sable1 est une ressource naturelle en voie d’épuisement ! Et si nous ne changeons rien, le pire est encore à venir : la consommation de ressources est bien plus grande dans les pays développés que dans les autres pays (si on s’en tient aux seules consommations énergétiques, un Français consomme l’équivalent de 3,71 tonnes de pétrole par an, la moyenne mondiale étant à 1,86 2), mais dans un avenir proche de plus en plus de pays rattraperont les pays développés. Le développement économique fulgurant de la Chine ces dernières années commence déjà à poser un certain nombre de problèmes, pourtant les Chinois sont encore loin d’avoir le niveau de vie des Japonnais ou des occidentaux. Il est donc urgent d’agir. En tant que plus gros consommateurs de la planète, c’est évidemment à nous, occidentaux, qu’il incombe de montrer la voie. Dans cet article, je vais m’intéresser aux outils dispose l’État pour encourager la réduction des consommations. Je vais d’abord parler d’outils actuellement utilisés : les subventions, les normes et les taxes, puis je parlerai d’un outil alternatif que je pense être plus adapté: la taxe à rendement nul.

Les solutions existantes

Les subventions :

Pour encourager la réduction des consommations énergétiques, les gouvernements successifs ont mis en œuvre un certain nombres de subventions pour encourager les ménages et les entreprises investir dans des mesures d’efficacité énergétiques. Des organismes, comme l’ANAH, l’ADEME, ou le trésor public, vont alors prendre en charge une partie des dépenses contracté par un particulier ou une entreprise dans le cadre d’un projet d’efficacité énergétique. Il peut s’agir d’une nouvelle isolation de toiture, ou du remplacement d’un chauffage au fioul par une pompe à chaleur, dans le cas d’un particulier, ou plutôt d’une réfection du système d’éclairage ou de la mise en place d’un système de récupération de chaleur, s’il s’agit d’une entreprise.

Les subventions se révèlent parfois efficace, mais elles cumulent un grand nombre de défauts. D’abord, elles n’encouragent que l’efficacité énergétique, et ne favorisent pas la sobriété. Elles favorisent les changements d’équipement, mais ne stimulent pas les changements d’usage : un particulier reçoit une incitation à changer de chaudière, ou à remplacer sa vieille voiture diesel par une voiture électrique, mais il n’est pas du tout encouragé à faire attention à sa consommation d’eau chaude, ou à faire du covoiturage avec ces collègues. C’est une faiblesse, parce qu’on se prive des leviers les plus importants pour réduire nos consommations.

Ensuite, les subventions ne concernent qu’une petite partie de la population. En effet lorsque l’État subventionne l’achat d’un équipement économe en énergie, il ne paie qu’une partie de l’investissement, ce qui suppose que le ménage, ou l’entreprise, fasse l’appoint. Peu probable donc, que les SMICards et les petits patrons se laissent tenter par l’aventure. Si on prend par exemple une pompe à chaleur coûtant 13 000€ à l’achat3, si un particulier peut bénéficier de près de 4 500€ de subvention3, il lui reste néanmoins 8 500€ à payer. Et pour la frange plus aisée de la population, si l’investissement n’est pas un problème, le bénéfice attendu porte sur le long terme et il est faible. Il ne justifie donc pas forcément de faire les démarches ni de supporter les travaux. D’autant que les formalités pour bénéficier des subventions sont complexes, notamment à cause du grand nombre de mesures formant un patchwork réglementaire touffu : il existe de nombreux mécanismes différents, avec des taux de subventions variables, et des conditions qui ne sont pas les mêmes selon les subventions, certaines pouvant se cumuler entre elles d’autre non. Pour ne rien arranger, les différents mécanismes évoluent au fil du temps, selon des calendriers qui leur sont propres.4

Enfin, le coût d’une mesure de subvention ne dépend pas uniquement de l’efficacité de la mesure. Par exemple, considérons que le gouvernement veuille mettre en place une subvention pour inciter les gens à changer leur frigo au profit d’un frigo plus économe en énergie. Il décide donc qu’à partir de maintenant, 30% du montant du frigo sera subventionné par le biais d’un crédit d’impôt. À 330€ par frigo vendu en moyenne, le gouvernement estime donc que la mesure lui coûtera 100€ par frigo. Seulement voilà, il se vend chaque année, indépendamment dans toute subvention, près de 2 millions de frigos en France. Les 2 millions d’acheteurs annuels, bénéficieront donc de la subvention, même s’ils auraient acheté un frigo de toute façon, pour un coût total de 200 millions d’euros. Ensuite viennent les acheteurs qui ont été incités par la subvention. Combien seront-ils ? Impossible à prédire, supposons qu’ils soient 1 million, ce qui rajoute encore 100 millions au budget de la subvention. Le coût total de la mesure est donc de 300 millions d’euros, pour 1 million de frigo supplémentaires vendu grâce à la subvention, ce qui revient à 300€ par frigo, aussi cher que si le gouvernement avait acheté lui-même les frigos et les avait distribués gratuitement5. En plus, ces subventions engendrent un effet d’aubaine : elles peuvent inciter les vendeurs de frigo à augmenter leurs prix, puisque les consommateurs ont un pouvoir d’achat plus grand du fait de la subvention. La subvention est donc en partie détournée de son objectif initial d’efficacité énergétique au profit des industriels 6.

Les normes :

Plutôt que d’encourager les gens à investir dans des technologies économes en énergie ou en ressources avec des subventions, l’État peut aussi imposer aux entreprises un certain nombre de règles sur les produits qu’elles commercialisent. Ainsi, la loi interdit depuis peu la distribution de sac en plastique jetables et les ampoules électriques, tandis que des normes encadrent la pollution émise par les véhicules, ainsi que la quantité d’isolant qui doit être mise dans un logement neuf. Les normes permettent de fixer un minimum d’exigence, pour éviter que des produits de trop mauvaise qualité ne se retrouve sur le marché grâce à leur coût plus faible. Elles sont assez efficaces dans ce domaine, mais elles ont néanmoins quelques limites importantes.

Par nature, les normes portent sur des détails techniques : «quel type de sac une entreprise de distribution peut-elle utiliser», «combien de centimètres d’isolant faut-il mettre sous la toiture d’une maison individuelle», leur rédaction demande donc une grande connaissance de la technique qu’on veut encadrer. Cela demande de faire appel à un panel d’experts du sujet, venant de préférence d’horizons différents, et qui ont des avis potentiellement contradictoires. Le processus est long (souvent plusieurs années), et il aboutit à des documents très pointus et très techniques, faisant parfois plusieurs centaines de page : la réglementation thermique 2012, qui réglemente la construction des logements neufs, comporte une dizaine de document dont le plus volumineux fait plus de 1000 pages7. Et cet effort doit être répété pour chaque domaine que l’on veut réglementer ! Lorsqu’il s’agit de protéger la sécurité des citoyens, cet effort est justifié, parce qu’il n’y a pas vraiment d’alternatives : sans normes, les industriels seraient libres de faire absolument ce que bon leur semble dans tous les domaines. Mais lorsqu’il s’agit de réduction des consommations, je ne pense pas que la norme soit l’outil adapté parce qu’elle ne définit que le minimum légal que les industriels doivent respecter. Une nouvelle norme ne peut pas être trop exigeante par rapport à la situation antérieure, sinon elle risquerait d’empêcher tout le monde de travailler.

Les normes ont aussi divers coûts pour la société. Au-delà du coût lié à leur formalisation, elles induisent aussi des coûts administratifs pour les entreprises qui doivent s’assurer d’être bien conforme à toutes les nouvelles normes. Lorsqu’elles forcent une entreprise à changer ses pratiques, elles augmentent aussi les coûts de productions, qui se répercutent soit sur la rentabilité de l’entreprise, soit sur le prix de vente des produits. Le pire ce n’est pas tant que les normes aient un coût, mais que ce coût est complètement décorrélé de la véritable plus-value de la norme. En fonction des cas, vouloir réduire de 10% une quantité consommée, peut aussi bien augmenter le coût production de 0.1%, que de le tripler. Ce point fait toujours l’objet d’âpres négociations entre les différentes partie prenantes lors de l’établissement d’une nouvelle norme, de sortes que les normes n’imposent jamais brutalement des contraintes trop strictes.

Comme la norme ne peut faire qu’un petit pas à la fois, utiliser les normes pour réduire les consommations demande donc de faire plein de petits pas à la suite, en définissant sans-cesse de nouvelles normes toujours plus exigeantes. Outre le temps passé à concevoir la nouvelle norme, et les différents coûts engendrés par sa mise ne œuvre, à chaque fois qu’une nouvelle norme est introduite on s’expose au risque qu’elle soit mal pensée et qu’elle ait un effet contre-productif. Pour donner un exemple d’une telle norme contre-productive, on peut citer l’interdiction du bisphénol A, qui a conduit les industriels à le remplacer par du bisphénol S ou du bisphénol B, tout aussi toxiques sinon plus que leur prédécesseur8.

Enfin, qui dit normes dit contrôle. Pour que les entreprises respectent les normes qui s’appliquent à elles, il faut mettre en place des contrôles draconiens car les fraudes sont innombrables. Face à des entreprises, comme l’industrie automobile dans le cas des véhicules diesel, qui n’hésitent pas à truquer les résultats des tests, le contrôle de l’application des normes est un combat de tous les instants. Plus les normes sont nombreuses et régulièrement durcies, plus la tentation de frauder est grande, et plus elle paraît légitime.

On l’a vu, les normes sont des outils utiles pour fixer des exigences minimums et des règles de bonne pratiques, à condition qu’elles ne soient pas trop nombreuses, et qu’elles soient stables dans le temps. Mais si on souhaite insuffler une dynamique de changement profond, elles ne sont pas les plus adaptées.

Les taxes :

Le facteur le plus puissant dans la consommation d’une ressource, c’est son prix : plus un produit est cher, et moins les gens peuvent se permettre d’en consommer. C’est cette observation basique qui a inspiré la mise en œuvre d’un certain type de taxes, les taxes dites Pigouvienne, qui sont là pour augmenter le prix des biens, lorsque leur prix de marché ne correspond pas à l’ensemble des coûts qu’ils engendrent. Les plus célèbres d’entre elles sont les taxes sur le Tabac et sur l’Alcool. Ces deux produits ne coûtent pas très cher à produire ni à distribuer, ils ont donc naturellement un prix de marché assez faible, ce qui favorise leur consommation. Mais comme ils engendrent des coûts sociaux très importants, l’État met en place une taxe qui augmente leur prix pour réduire la consommation. Cette méthode est assez efficace pour réduire les consommations, et à l’inverse des subventions, elle a un impact positif sur les finances du gouvernement.

Ces mesures ont néanmoins trois gros défauts qui empêchent leur généralisation. Le premier défaut de cette méthode, c’est que toute nouvelle taxe va peser sur le pouvoir d’achat des ménages, ou les coûts de production des entreprises. En effet, s’il est «facile» de réduire sa consommation de cigarettes pour compenser la hausse du paquet, il est beaucoup plus difficile de réduire sa consommation d’essence ou d’électricité. Des solutions peuvent exister, comme acheter une nouvelle voiture qui consomme moins, ou ne pas laisser brancher une dizaine de gadgets électroniques inutilisés, mais elles ne s’adressent pas à tout le monde : par exemple pour Paul, 22 ans, qui enchaîne les petits boulots en intérim au volant de sa Fiat Punto d’occasion, acheter une voiture qui consomme moins n’est pas à sa portée. Une taxe augmentant le prix de l’essence de 10% va donc directement se répercuter du jour au lendemain sur son budget qui n’est déjà pas flamboyant. Mettre en œuvre des taxes touche donc différemment les différentes catégories sociales, mettant une pression financière forte sur les classes populaires, sans pour autant être suffisante pour inciter les ménages aisés à réduire leur consommation.

La baisse du pouvoir d’achat causée par la mise ne place d’une taxe simple La baisse du pouvoir d’achat causée par la mise ne place d’une taxe simple

Deuxièmement, parce qu’elle nous oblige à changer nos habitudes sous peine de sanction financière, les nouvelles taxes sont très impopulaires. C’est à la fois un frein à la mise en place de la taxe, mais l’abolition de la taxe est aussi un excellent argument de campagne pour l’opposition lors des élections suivantes. Quand bien-même un gouvernement aurait le courage de mettre en place une forte taxation visant à réduire nos consommations de ressources naturelles, il perdrait vraisemblablement les élections suivantes et la taxe serait très probablement abrogée. Les taxes ne restent en place que si elles rapportent une manne financière tellement importante que le gouvernement suivant ne puisse pas se priver de cette ressource. Mais dès lors que la taxe se met à devenir une source de revenu indispensable pour l’État, elle perd de vue son objectif de limitation de la consommation. En 2017, confronté à une baisse des recettes fiscales des taxes sur le tabac, le ministre des Finances belge a proposé de réduire le montant de ces taxes, afin de stimuler la consommation de tabac et ainsi augmenter les recettes de l’État10. Dans un telle situation, la posture hypocrite de l’État vient encore renforcer l’impopularité de la taxe.

Maintenant qu’on a vu les limites du triptyque subventions/normes/taxes, je vais vous parler d’un outil alternatif : la taxe à rendement nul.

La taxe à rendement nul :

Le principe est extrêmement simple : il s’agit d’une taxe combinée à une prime qui annule en moyenne l’effet de la taxe pour ne pas impacter le pouvoir d’achat de la population. L’ensemble de l’argent collecté par l’État au titre de cette taxe est redistribué au lieu d’aller dans les caisses de l’État, d’où son nom de «Taxe à rendement nul». Pour clarifier un peu, prenons un exemple :

Ces dernières années, le niveau des nappes phréatiques est en baisse, et le gouvernement souhaiterait inciter ses concitoyens à réduire leurs consommations. Il met donc en place taxe à rendement nul (TRN dans la suite), à hauteur de 50% du prix final de l’eau. Ainsi, le prix de l’eau double pour le consommateur. Le budget moyen d’un individu passe donc de 180€ à 360€. En parallèle, l’État redistribue 180€ à chaque Français. En moyenne, les Français n’ont donc pas de variation de leur niveau de vie.

La taxe à rendement nul n’affecte pas le pouvoir d’achat des individus La taxe à rendement nul n’affecte pas le pouvoir d’achat des individus

Par contre, les situations vont varier fortement en fonction de la consommation : les plus économes vont gagner de l’argent, tandis que les plus gros consommateurs vont voir leur dépenses augmenter. En effet, les 180€ de prime permettront de compenser la hausse du prix de l’eau pour les douches et la consommation courante, par contre le remplissage d’une piscine ou l’arrosage automatique d’une pelouse coûtera effectivement deux fois plus cher. Contrairement à une taxation simple, la taxe à rendement nul permettra donc de faire pression sur les usages les plus dispendieux sans affecter le pouvoir d’achat des Français, notamment les plus défavorisés.

La taxe pénalise les surconsommateurs et favorise les individus économes La taxe pénalise les surconsommateurs et favorise les individus économes

Non seulement cette absence d’effet négatif sur le pouvoir d’achat réduit l’impopularité de la mesure, mais elle permet également de jouer très fortement sur le prix de ce dont on souhaite réduire la consommation : dans l’exemple on a carrément doublé le prix de l’eau, ce qui serait presque impensable avec une taxation simple. Et en jouant fortement sur les prix, on envoie une incitation très forte à surveiller sa consommation : pour un individu, le gain espéré en faisant attention à sa consommation est doublé ! Avec un litre d’essence à 1€50, je pourrais gagner 35€11 chaque mois en décidant de m’organiser avec un collègue qui n’habite pas trop loin de chez moi. Aujourd’hui je ne le fais pas, parce que ça fait quand même pas mal de contraintes par rapport à ce que j’y gagne. Avec un litre d’essence à 3€, le gain potentiel attendrait 70€, c’est peut-être suffisant pour que je me décide de m’organiser. Et encore une fois, contrairement à une taxation simple, je reste complètement libre de faire ou non du covoiturage. Si je n’en fais pas, la prime versée par l’État compense l’augmentation et mon pouvoir d’achat n’en souffre pas. La taxe à rendement nul n’est donc pas un mécanisme coercitif, c’est simplement un mécanisme incitatif et ça change tout en termes de popularité de la mesure.

Et comme cette mesure incitative porte directement sur la consommation elle-même, elle favorise à la fois les démarche d’amélioration de l’efficacité et celles de sobriété.

En pratique :

Considérons l’exemple de trois individus au mode de vie différent :

  • Aurélien, 35 ans, célibataire, locataire d’un appartement en petite couronne : l’eau est comprise dans les charges de son appartement. Il payait pour 50m³12 d’eau par an, la moyenne des habitants de son immeuble étant égale à la moyenne nationale. L’augmentation du prix de l’eau est donc compensée par la prime de compensation. Il ne changera rien à ses habitudes de consommation en eau.

  • Julien, 31 ans, Camille, 29 ans et Louise, 3 ans, propriétaire dans le centre-ville d’Amiens : consommaient 150 m³ d’eau par ans avant l’augmentation de tarif. Touchent la prime de compensation pour 3 personnes, ce qui représente 530€13. Comme ils consommaient autant que la moyenne, la mise ne place de la taxe à rendement nul ne leur coûte rien. Mais comme leur budget est un peu serré, ils décident de faire attention à leurs consommations cette année. Au final : ils arrivent à réduire leurs consommations de 15%, ce qui leur fait économiser 80€.

  • Marcel et Christiane, 71 et 68 ans, habitant une maison en périphérie de Bordeaux : depuis qu’ils sont en retraite, ils passent beaucoup de temps à s’occuper de leur jardin, qu’ils arrosent tous les jours. Ils consomment 200m³ (le double de la moyenne nationale), donc malgré la prime de compensation l’augmentation du prix de l’eau leur coûtera 350€ supplémentaire cette année. Mais comme il n’est pas question d’arrêter d’arroser le jardin, ils ne changeront rien à leurs habitudes et encaisseront le surcoût.

Combien coûte la mesure ?

Pour calculer le montant de la prime de compensation, l’État utilise la consommation de l’année précédente : les Français ont consommé 3200 millions de mètres cubes d’eau l’an dernier14, la taxe double le prix de l’eau, provocant une augmentation du prix du m³ de 3,5€, donc pour compenser la taxe, il faut verser un total de 180€ par personne cette année. Si la consommation ne change pas suite à la mise en place de la taxe, le coût de la mesure est donc nul15. Par contre, si la consommation diminue de 5% grâce à l’incitation, la mesure coûte alors 560 millions d’Euros. Si la baisse atteint 30%, le coût de la mesure atteint 3,4 milliards d’Euros. On a donc là un instrument dont le coût pour l’État est directement proportionnel à son impact, contrairement aux subventions. De plus, pour les consommateurs, l’augmentation du pouvoir d’achat est égale au double de la dépense de l’État : en réduisant leur consommation d’eau de 30%, ils touchent 3.4 milliards de prime et en plus ils économisent 3,4 milliards d’euros sur leurs factures d’eau. En plus d’être un instrument de responsabilité écologique, il s’agit donc d’un outil de stimulation économique !

Fonctionnement dans la durée

La deuxième année, le calcul des primes de compensation est maintenant effectué sur la base de la consommation de la première année du dispositif. Si on suppose que la consommation totale a diminué de 5%, cela veut dire que chaque Français recevra une prime de 170€ pour la deuxième année. Ceux qui, comme Julien et Camille, ont fait des efforts la première année seront toujours gagnants, les autres sont légèrement pénalisés. La pénalité est juste parce qu’elle est proportionnelle à l’effort collectif consenti par les autres : si la société dans son ensemble a fait un effort de 5% mais moi non, je paierais une pénalité de 5%.

Les défis de la taxe à rendement nul

Parce qu’elle possède les avantages d’une taxe Pigouvienne sans ses plus graves défauts, la taxe à rendement nul est un dispositif attrayant. Il y a cependant un certain nombre de défis à relever pour la mettre en place. Il faut tout d’abord mettre en œuvre un système de collecte de la taxe, et de redistribution de la prime. Mais ce n’est pas la partie la plus délicate, la collecte de l’impôt et la distribution des aides sociales étant les piliers de l’État providence, celui-ci dispose d’administrations capable de réaliser ces taches.

Le défi le plus important, lors de la mise en place d’une taxe à rendement nul, c’est de faire en sorte que la prime de compensation soit bien ciblée, à la fois pour éviter les fraudes, et pour que la taxe à rendement nul soit équitable. Dans cet article, j’ai rapidement évoqué l’idée d’utiliser la taxe à rendement nul pour augmenter fortement le prix de l’essence, et ainsi encourager les conducteurs à trouver des modes de déplacements alternatifs comme le covoiturage. Dans le cas de l’essence on ne peut pas se contenter de verser la même prime de compensation à tout le monde : les habitants des grandes villes prenant les transports en commun bénéficieraient alors d’un cadeau indu, tandis que les ruraux devant faire 50km chaque jour pour se rendre au travail seraient fortement pénalisés. De plus, en cas de doublement du prix de l’essence, les frontaliers se rabattraient massivement vers les stations-services des pays voisins tout en bénéficiant de la prime de compensation.

Avant de mettre en place une taxe à rendement nul il faut donc s’assurer de deux choses :

  • qu’il n’y a pas de moyen d’échapper facilement à la taxe. S’il est difficile de se procurer de l’électricité en dehors des réseaux traditionnels, la contrebande de cigarette est très facile, l’électricité se prête donc facilement à la taxe à rendement nul, mais pas les cigarettes. Dans le cas de l’essence, on pourrait imaginer faire une règle spéciale pour les frontaliers, par exemple en ne leur versant la prime de compensation qu’à condition d’avoir une preuve d’achat dans une station service en France.
  • que la prime de compensation est suffisamment personnalisée. Dans le cas de l’électricité, la prime de compensation devrait prendre en compte le fait que l’habitation est dotée ou non d’un chauffage électrique, dans le cas de l’essence, elle pourrait dépendre de la distance entre le domicile et le lieu de travail.

Conclusion

La taxe à rendement nul est une solution qui permet de mettre en place des mesures choc, en faisant varier brutalement le prix de certaines consommations. On envoie ainsi un signal fort, qui déclenche un changement collectif des comportements, en partant du principe qu’il est beaucoup plus facile de changer ses habitudes si tout le monde les change en même temps, que de le faire seul dans son coin. Dans le cas du covoiturage pour se rendre au travail par exemple, il faut qu’il y ait à la fois suffisamment de conducteurs pour que je sois sûr, quand je pars de chez moi le matin, d’arriver à rentrer chez moi le soir. Et les conducteurs ne se donneront a peine de participer que s’il y a suffisamment de passagers potentiels.

Bien sûr, la taxe à rendement nul n’est pas un remède miracle, parce qu’elle est essentiellement adaptée pour les particuliers 16. Pour reprendre l’exemple de la consommation d’eau, la mise en place d’une TRN s’appliquant aux particuliers, ne toucherait ni l’industrie ni l’agriculture, qui sont pourtant de grosses consommatrices elles aussi17.

Néanmoins, c’est une mesure très intéressante, parce qu’elle peut s’appliquer à pleins de domaines différents : la consommation d’eau, d’essence ou d’électricité, ou encore la production de déchets ménagers. Mais elle peut également s’appliquer à d’autre domaines que la protection de l’environnement, dès lors qu’on souhaite dissuader les individus de consommer certains produits : les boissons sucrées et la malbouffe en général, ou encore les produits importés depuis l’étranger dans le cadre d’une politique protectionniste. Là encore, l’emploi de la taxe à rendement nul permet d’éviter le principal problème d’une politique protectionniste basée sur les droits de douane : la hausse des prix provoquant une baisse du pouvoir d’achat.

Notes

Le 17 janvier 2018

À la poursuite des Moulins à vent

Pourquoi les éoliennes ne vont pas changer le monde, en tout cas pas toutes seules.

Don Quichotte faisant face à un champ d’éoliennes Dessin de Guillaume Duchemin tous droits réservés.

La transition écologique, c’est facile : on a qu’à remplacer toutes les sources de production d’énergie polluantes par des moyens de production «écologiques», on remplace les diesels par des voitures électriques, et les centrales nucléaires par des éoliennes et le tour est joué, «Circulez il n’y a rien à voir». Enfin ça, c’est le discours qu’on entend généralement dans les médias. Il faut dire qu’il est pratique ce discours ! Il permet de donner bonne conscience à des citoyens qui commencent à se sentir concernés par les questions environnementales, sans être porteur d’une trop grosse remise en question de la société dans laquelle on vit. Dans cet article, je vais me concentrer sur le cas des éoliennes, et vous montrer pourquoi l’idée de «remplacer» les modes de productions actuels par des éoliennes n’a aucun sens, et pourquoi les gens qui raisonnent sur le coût de l’électricité n’apportent rien de pertinent au débat.

Le but de cet article n’est bien sûr pas de critiquer les éoliennes, gratuitement ou pour faire la promotion d’une autre source d’électricité. Je veux simplement vous convaincre, en partant des contraintes techniques liées à la production, qu’il n’y a pas de solution miracle, à la fois propre, sûre0 et capable produire l’électricité telle que nous la consommons aujourd’hui.

Quelques rappels sur les réseaux électriques

Énergie et puissance

Quand on est dans le domaine énergétique, il y a deux grandeurs physique à considérer : la Puissance qui s’exprime en Watt et l’Énergie qui s’exprime en Joule. La Puissance représente la quantité produite ou consommée à chaque instant, tandis que l’Énergie représente la totalité. L’Énergie est une grandeur pertinente lorsqu’on a affaire à des ressources stockables (il y a une certaine quantité d’Énergie contenue dans un baril de pétrole, ou dans le réservoir d’eau d’un barrage), mais lorsqu’on parle d’électricité, qui n’est pas stockable en pratique, la Puissance est la grandeur la plus intéressante à considérer. D’ailleurs, si vous n’avez pas fait d’études scientifiques, vous n’avez probablement jamais rencontré l’unité Joule, alors que vous êtes entourés d’appareil électriques indiquant leur puissance en Watt : une ampoule de 60W ou un four à Micro-ondes de 2000W par exemple. Le seul moment où une unité d’Énergie est utilisée dans la vie quotidienne, c’est lors de la facturation : le montant de la facture dépendant de la quantité d’Énergie consommée sur l’année, exprimée en kWh (kilowatt-heure, énergie totale consommée en une heure par un appareil d’une puissance d’un kilowatt). Pourquoi l’électricité est-elle facturée en fonction de l’Énergie consommée ? Parce que dans un monde ou les principales sources de production d’électricité sont des ressources fossiles (charbon, gaz, fioul), le coût pour le producteur vient directement de la quantité d’Énergie consommée : 1 kWh consommée représente 200g de pétrole1 brulé par le producteur, ce qui lui coûte une certaine somme d’argent. Mais dans un monde où la production d’électricité est assurée par des centrales nucléaires, ou pire encore, par des énergies renouvelables, raisonner sur l’Énergie n’a pas vraiment de sens : il faut s’intéresser à la Puissance pour avoir des raisonnements pertinents. Et ça a une conséquence directe : comme la facturation est réalisée en Énergie, cela signifie que toutes les analyses des problèmes de production électrique sous l’aspect économique sont bancales et inadaptées, je reviendrai sur ce point en fin d’article.

La physique et la langue française

Physiquement, l’Énergie représente une quantité stockée. Parler d’Énergie n’a donc de sens physique que dans les cas où on peut effectivement stocker quelque-chose. Quand on parle de sources fossiles, on peut effectivement les stocker, par contre on ne peut pas stocker l’électricité en tant que telle, ni stocker le vent, ni le rayonnement solaire. Le problème, c’est que le langage courant n’est pas très rigoureux, et qu’on emploie couramment le mot «énergie» à tort et à travers : on parle couramment de «source d’énergie», d’«énergie électrique», d’«énergie éolienne» ou d’«énergie solaire» quand bien même ça n’a pas de sens physique … 2

Le réseau électrique, toujours à l’équilibre

Si la Puissance est la grandeur la plus importante sur un réseau électrique, c’est parce qu’elle est régie par une contrainte fondamentale : à tout instant sur le réseau, la puissance consommée doit être égale à la puissance produite. Prenons l’exemple imaginaire de la Syldavie : les habitants syldaves consomment 350 MW de puissance électrique pour leurs besoins domestiques, l’industrie quant à elle, consomme 600 MW de puissance, les installations de production d’électricité doivent donc fournir exactement3 950 MW de puissance électrique sur le réseau. Le vent souffle modérément, et les éoliennes syldaves produisent 50 MW de puissance, le reste de la puissance nécessaire (900 MW) est fourni par l’unique centrale nucléaire du pays.

Le réseau électrique est à l’équilibre

Si jamais les conditions de production ou de consommation changent sur le réseau, la production doit s’adapter pour retourner à l’équilibre. Par exemple, si le vent se renforce, la production éolienne va augmenter jusqu’à atteindre 150 MW, comme la consommation n’a pas évolué, il faut toujours produire 950 MW de puissance pour que le réseau soit à l’équilibre, la centrale nucléaire va donc réduire sa production.

Le réseau électrique, toujours à l’équilibre après que le vent s’est mis à souffler la centrale doit maintenant produire 800MW de puissance.

Importations et exportations

Dans le monde réel, les réseaux électriques nationaux sont souvent interconnectés entre-eux, ce qui permet d’équilibrer les puissances produites et consommées à l’échelle de plusieurs pays plutôt que d’un seul et offre ainsi plus de souplesse dans la manière de moduler la production. Malheureusement pour le réseau électrique Syldave, les relations diplomatiques avec son voisin, la Bordurie, ne sont pas au beau-fixe, ce qui empêche la mise en place d’un tel réseau inter-connecté (et simplifie grandement mon exemple).

La consommation électrique

Réciproquement, si les Syldaves allument leur four pour préparer le dîner en rentrant chez eux, la puissance appelée par le réseau va augmenter, les installations de production d’électricité vont donc devoir produire davantage pour équilibrer le réseau. L’équilibrage de la puissance entre producteur et consommateurs est réalisé de différentes manières : les petites variations sont encaissées automatiquement via des mécanismes de régulations, les plus grosses nécessitent un pilotage manuel de la production. En France, c’est RTE qui se charge d’assurer cet équilibre, et qui donne les instructions de productions aux centrales. Et quand on observe les variations de consommation au cours de la journée, on se rend compte que c’est un vrai travail d’équilibrer tout ça :

Variation de la puissance consommée au cours de la journée du 4 janvier en France Source RTE

Cette courbe est caractéristique de la consommation électrique un jour pas trop froid de semaine en hiver : une bosse pendant la journée, culminant entre midi et 13h, un creux dans l’après-midi, puis un pic à 19h et un gros creux pendant la nuit. On constate que les variations sont importantes : lors du pic de 19h, la puissance appelée par le réseau culmine à près de 70 000 MW, tandis qu’elle s’élève à peine au-delà de 50 000 MW à 4h45 du matin. Rien qu’entre 17h et 19h, la variation atteint presque 16 000 MW, soit une augmentation de 25% en deux heures.

Puisqu’il faut que la puissance consommée sur le réseau et celle produite soient toujours égales, il faut que les systèmes de production soient en mesure de varier la puissance produite en fonction de la demande. Si jamais à cause de circonstances exceptionnelles (vague de froid, arrêt fortuit d’une centrale, tempête endommageant les lignes haute-tensions), le producteur ne parvenait pas à répondre à la demande en puissance, le gestionnaire de réseau devrait déconnecter certains utilisateurs pour ramener la puissance consommée à un niveau atteignable par la production, sous peine de faire s’effondrer le réseau tout entier, on parle alors de délestage.

Source pilotable et non pilotables

On l’a vu, alimenter un réseau électrique ce n’est pas seulement être capable de lui fournir une certaine quantité d’Énergie tous les jours, c’est lui fournir à chaque instant la Puissance dont il a besoin. Et puisque la consommation varie au cours de la journée, il faut donc être capable de faire varier la production en fonction. Dans cette partie nous allons donc faire le tour des différentes sources de puissance pour comprendre la marge de manœuvre qu’elles offrent au producteur d’électricité.

a. Le nucléaire

Puisqu’on est en France, je commence par le nucléaire, qui aujourd’hui est de loin la source principale de puissance chez nous. L’ensemble des réacteurs nucléaires représentent 63 000 MW de puissance installée, sur les 130 000 MW de puissance installée en France toute source confondue.4

Au moment de leur conception, les centrales nucléaires étaient pensées pour être des sources de puissance de base, fonctionnant à puissance fixe, et laissant aux autres sources de puissance le soin d’encaisser les variations de la consommation. Elles offrent cependant un certain niveau de contrôle : un réacteur nucléaire peut fonctionner entre 30% et 100% de sa puissance nominale, et avec l’abandon progressif des centrales thermiques et la montée en puissance de l’éolien, elles jouent de plus en plus le rôle d’équilibrage du réseau. Toutefois, cela n’est pas sans conséquences : le fait de faire varier la puissance d’un réacteur nucléaire consomme le combustible plus rapidement (ce qui produit donc plus de déchets nucléaires) et de manière irrégulière. On essaye donc au maximum de limiter les variations de production. De plus, démarrer une centrale nucléaire à l’arrêt est une opération longue (plusieurs jours) et complexe (de la paperasse, et plein de contrôles partout), donc on ne peut pas vraiment jouer là-dessus pour piloter la puissance produite. En plus, quand on connaît les coûts de construction et les coûts opérationnels d’une centrale nucléaire, on a vraiment envie qu’elle tourne au maximum de sa capacité si on veut la rentabiliser.

b. L’hydro-électricité

Deuxième source de puissance en France avec 25 000 MW de puissance installée, la production hydro-électrique se divise en 3 catégories distinctes, classées par ordre décroissant de puissance installée :

1. Les centrales au fil de l’eau et les centrales éclusées

Ce sont des barrages disposés sur des cours d’eau qui n’ont pas ou peu de lac de retenue. On en trouve par exemple un grand nombre sur le Rhône et le Rhin.

centrale hydraulique et écluses de Rhinau La centrale hydraulique de Rhinau, ©EDF touts droits réservés

Ces centrales sont très peu pilotables. Ne pouvant pas stocker l’eau dans un barrage de retenue, l’exploitant n’a que deux options : turbiner l’eau pour faire de l’électricité, ou bien la laisser passer par une voie de contournement et renoncer à produire de l’électricité avec.

2. Les centrales de lac

Situés dans des vallées encaissées de montagne, et alimenté par des cours d’eau de petite taille, ces barrages retiennent l’eau provenant de la fonte des glaces au printemps. Extrêmement flexibles, ils peuvent passer de 0 à 100% de leur puissance en quelques minutes et sont idéals pour encaisser les pics de consommation électrique. Par contre ils sont limités en termes de quantité d’Énergie qu’ils sont capables de produire : une fois que le lac est vide, ils ne peuvent plus rien produire du tout jusqu’à ce qu’il se remplisse à nouveau. L’exploitant doit donc utiliser l’eau de ces barrages avec parcimonie. De plus, l’installation d’un barrage de ce type nécessite des conditions topographiques et géologiques assez particulières, ce qui fait qu’on ne peut en avoir qu’un nombre très limité sur un territoire donné.

3. Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP)

Le Graal de la production électrique, ce sont des stations installées entre 2 réservoirs : un en haut, et un en bas. Pour produire de l’électricité, il suffit de vider l’eau du réservoir du haut dans le réservoir du bas en turbinant l’eau au passage. Comme une centrale de lac, on peut les allumer en quelques minutes pour avoir la puissance dont on a besoin. La grande différence avec un barrage de lac classique, c’est qu’on peut aussi l’utiliser à l’envers : lorsqu’il y a abondance de puissance disponible sur le réseau, cette station peut pomper de l’eau depuis le lac du bas vers celui du haut, ce qui permet de stocker de l’Énergie, c’est même la seule façon de stocker de l’Énergie électrique qui soit viable à grande échelle. Ce qui est dommage, c’est que les endroits où on peut installer ce genre de stations sont encore plus rares que ceux où on peut mettre des centrales de lac.

Centrale de pompage-turbinage de Kruonis en Lituanie La centrale de pompage-turbinage de Kruonis en Lituanie. Le lac inférieur est au premier plan, une centaine de mètres en contrebas du réservoir situé en arrière plan. ©Watas Arunas Gineitis, licence CC BY-SA 3.0 via Wikipédia

c. Le thermique à flamme :

Par thermique à flamme, on entend tout ce qui fonctionne en brûlant quelque chose : ça peut être une centrale à charbon, ou un groupe diesel, mais ça peut aussi être une centrale à bois ou un centre d’incinération de déchets. Du point de vue du pilotage, ces différents systèmes ressemblent un peu aux centrales nucléaires : on peut varier leur puissance dans une certaine gamme, entre 100% et X%, X dépendant du type de technologie employé. Contrairement au nucléaire cependant, fonctionner à une puissance inférieure à 100% ne pose pas de contraintes particulières. Si on veut descendre en dessous de X% de puissance, il faut alors éteindre totalement l’unité de production. La capacité à allumer et éteindre une centrale thermique dépend de la technologie employée, il en existe de nombreuses, qui peuvent être regroupées en deux catégories : celles qui possèdent un cycle vapeur fermé (les centrales à charbon, les centrales du type «cycle combiné gaz»), et celles qui n’en possèdent pas (moteurs diesels, turbines à combustion simples). Les premières sont assez lentes à l’allumage, et on essaye donc d’éviter de les éteindre, les deuxièmes sont relativement rapides à démarrer mais l’électricité produite coûte généralement plus cher.

d. Le solaire

La production solaire dépend de l’ensoleillement, le gestionnaire de réseau ne peut donc rien faire pour augmenter la production en cas de besoin. Il peut cependant déconnecter les panneaux solaires du réseau en cas de sur-production.

e. L’éolien

Comme pour le solaire, la production éolienne dépend des conditions extérieures. S’il y a du vent, les éoliennes fournissent de la puissance, sinon elles n’en fournissent pas et le gestionnaire de réseau n’y peut pas grand-chose. En cas de sur-production, il est cependant possible de couper la production d’une éolienne, mais des contraintes réglementaires limitent cette possibilité, j’y reviendrai en fin d’article.

L’énergie éolienne

Un peu d’histoire

Moulins de Consuegra Moulins de Consuegra, en espagne ©Hugo Díaz-Regañón, licence CC BY-SA 3.0 via Wikipédia

La force du vent est exploitée par les hommes depuis des millénaires, on trouve les premiers bateaux à voile au moyen-orient dès la fin du Vème siècle avant notre ère. Au Moyen Âge, on se mettra à utiliser le vent pour actionner les moulins. C’est alors la troisième source de force mécanique après la force musculaire (animale et humaine) et les moulins à eau. On s’en sert pour moudre le grain bien sûr, mais aussi pomper l’eau, ou pour différentes activité industrielles (textile, scierie). À leur apogée dans la deuxième moitié du XIXème siècle, on compte près de 200 000 moulins à vent en Europe5. Rendus caducs par la machine à vapeur, le moteur à explosion et le moteur électrique, les moulins à vent vont progressivement disparaître au profit de ces nouveaux modes de production, plus fiables et plus pratiques.

L’Histoire nous met en garde : si l’éolien, autrefois source d’énergie dominante, fût abandonné au profit des sources fossiles, il est possible qu’il ne soit pas le meilleur candidat pour espérer les remplacer …

Le fonctionnement d’une éolienne

La puissance d’une éolienne dépend de deux facteurs :

  • l’envergure des pales au carré (si on fait des pales deux fois plus longues, l’éolienne peut produire une puissance quatre fois plus élevée).
  • la vitesse du vent au cube (si le vent va deux fois plus vite, l’éolienne peut produire une puissance huit fois plus élevée).

Plus une éolienne est grande, et plus elle est capable de tourner par grand vent, plus sa puissance maximale est élevée, mais ces deux facteurs jouent sur le coût de l’éolienne. Dans le cas de la taille, l’amélioration des techniques et des matériaux de constructions ainsi que la production en série permettent de faire baisser le prix d’achat des éoliennes au fil du temps, et permettent ainsi de construire des éoliennes toujours plus grandes. Pour ce qui est de la vitesse des vents, les exploitants prennent leur décision en fonction du vent présent dans la région : inutile de payer super cher une éolienne atteignant sa pleine puissance à 90 km/h si vous n’atteignez ce niveau de vent que quelques heures dans l’année.

Considérons par exemple le cas d’une éolienne particulière, la Vestas V90 de 3 MW 6, conçue pour produire 100% de sa puissance lorsque le vent atteint 50km/h.

Courbe de puissance d’une éolienne en fonction du vent Courbe de la puissance d’une éolienne Vestas V90 en fonction de la vitesse du vent

Lorsqu’il y a trop peu de vent (moins de 12km/h dans cet exemple), l’éolienne est complètement à l’arrêt, puis à basse vitesse, l’éolienne tourne mais ne produit presque rien7 (8% de la puissance nominale lorsque le vent atteint 18km). Ensuite, à mesure que le vent forcit, la production de puissance croit régulièrement, jusqu’à atteindre un plafond autour de 50km/h : l’éolienne a alors atteint sa puissance nominale. Si le vent augmente encore, l’éolienne modifie la configuration de sa voilure pour réduire sa prise au vent, elle maintient alors un niveau de puissance constant malgré l’augmentation de la force du vent. À 90km/h cependant, l’éolienne ne peut plus supporter la force du vent, elle doit donc se mettre à l’arrêt en plaçant ses pales en «drapeau» pour ne pas risquer de s’abîmer.

Une puissance intermittente

En fonction des conditions météo, une éolienne produit donc entre 0% et 100% de sa puissance nominale. À l’échelle de la France sur l’année 2017, le parc éolien Français a produit entre 3% et 84%8 de sa puissance nominale. L’écart peut aussi être très important à l’échelle de 24 heures. Par exemple, le samedi 6 janvier 2018 à 10h, la production éolienne atteignait péniblement les 1000 MW, 24h plus tard celle-ci flirte avec les 9000.

Le problème c’est qu’on a aucun contrôle sur cette production, l’électricité est produite uniquement quand il y a du vent, qu’importe si on en a besoin. Si Éole est avec nous, et que le vent se lève à 18h pour encaisser le pic de consommation du soir à 19h, tant mieux, mais sinon il faut se débrouiller autrement. C’est par exemple ce qui s’est passé le 2 janvier 2018.

variation de la production éolienne et de la consommation sur la journée du 2 janvier 2018 Variation de la production éolienne et de la consommation sur la journée du 2 janvier 2018 : beaucoup de vent la nuit, mais un creux pendant la journée alors que la consommation est élevée. Par chance le vent revient en début de soirée au moment où la consommation est maximale. (Les productions sont exprimées en valeur normalisée pour permettre des comparaisons entre les deux courbes, 100 correspondant à la moyenne de la journée) sources des données

Ce jour-là l’Allemagne a subit les caprices du vent encore d’avantage que la France :

L’Europe le 2 janvier vers 18h Carte du vent et des émissions de CO2 en Europe le 2 janvier à 18h. La couleur des pays représente leurs émissions de CO2 liées à la production d’électricité. Sur la carte l’Allemagne est à 362g de CO2 par kWh, la France est à 34g/kWh. Source

Le vent n’était pas revenu en soirée, les éoliennes ne tournant alors qu’à 30% de leur capacité, alors que la consommation était maximale. Heureusement qu’on peut compter sur les centrales à charbon.

On entend parfois dire qu’à l’échelle Européenne la production éolienne est plus stable : «il y a forcément du vent quelque part au moins en Europe» dit-on. Mais en réalité l’Europe reste une zone relativement homogène en termes de vent et ses variations affectent de nombreux pays de la même manière. Ainsi, lorsqu’il n’y a pas de vent sur la mer du Nord, l’Allemagne, le Danemark, la Belgique, les Pays-bas et la Suède sont tous privés de leurs éoliennes en même temps. Impossible donc, de compter sur ses voisins pour compenser l’absence de vent : ils ont toutes les chances d’être aussi mal lotis. De plus le réseau électrique Européen est dimensionné pour permettre des échanges entre pays voisins de manière à équilibrer leur réseau, il n’est pas du tout capable d’assurer l’approvisionnement complet d’un pays qui se retrouverait privé de production électrique faute de vent. Quand bien même la France aurait du vent et pas l’Allemagne, transférer les dizaines de gigawatts nécessaires d’un pays à l’autre est totalement illusoire.

Le stockage

Le stockage est la solution généralement avancée pour palier le caractère intermittent des énergies renouvelables. Il suffirait de stocker la puissance produite en excès, pour la restituer lorsque la puissance vient à manquer sur le réseau parce que le vent fait défaut. Le problème, c’est que cette idée ne résiste pas à sa confrontation à la réalité. En m’appuyant sur les données RTE de production de 2017, j’ai réalisé une simulation numérique simplifiée910 d’un scénario où l’ensemble de la production non-renouvelable est remplacé par de l’éolien couplé à du stockage. La conclusion est la suivante : pour que le système de stockage puisse prendre le relai en cas d’absence de vent, il faut qu’il soit capable de délivrer une puissance de 55 000 MW9, soit l’équivalent d’une cinquantaine de réacteurs nucléaire, ou encore les 2,5 fois la puissance du barrage des Trois Gorges en Chine (22,5 GW). C’est donc absolument inenvisageable avec du stockage sous forme de pompage-turbinage.

Au-delà des systèmes de stockage par pompage-turbinage, une autre option est souvent évoquée lorsqu’il s’agit de stocker l’Énergie produite par les sources intermittentes repose sur les «smart-grid», ou «réseaux électriques intelligents» en français. Le principe des smart-grid, c’est de faire remonter un maximum d’information sur l’utilisation de l’électricité aux gestionnaires de réseau, et de permettre à ceux-ci de contrôler finement l’utilisation de l’électricité par les consommateurs. C’est notamment l’idée derrière le compteur Linky. Quel rapport entre les smart-grid et le stockage de l’électricité me direz-vous ? La voiture électrique ! Les voitures électriques sont dotées d’une batterie, d’une capacité importante (entre quelques dizaines et une centaine de kWh), et d’une puissance de charge de plusieurs kilowatts. Les smart-grid promettent donc d’offrir une vraie alternative au pompage-turbinage pour le stockage d’énergie électrique. Seulement voilà, les chiffres ne collent toujours pas. Cette fois la puissance instantanée n’est pas un problème : avec des blocs de chargement de 7kW il «suffit» de 7 millions de véhicules électriques en service pour offrir les 55GW de puissance de stockage nécessaire. Là où le bât blesse, c’est au niveau de l’Énergie totale qu’il faut stocker. Avec 7 millions de véhicules, le système tiendrait une dizaine d’heures11 à tout casser avant de tomber en panne sèche. Or les périodes sans vent peuvent durer des jours, voire plus d’une semaine. Pour être capable de fournir de l’électricité même pendant les périodes pas ou peu ventées, le système de stockage doit être capable de stocker 26 TWh9 (térawatt heure, un million de mégawatt heure), soit la consommation d’électricité moyenne Française pendant une grosse quinzaine de jours ! Même en admettant que toutes les voitures soient équipées des plus grosses batteries actuellement sur le marché, la batterie à 100 kWh des Tesla Model X, il faudrait 260 millions de véhicules pour stocker la quantité d’Énergie nécessaire à un pays comme la France. Bien évidemment, pendant que la voiture sert de batterie de secours au réseau électrique, son propriétaire ne peut pas s’en servir …

Enfin, le troisième mode de stockage envisagé est le «Power To Gas To Power». L’idée étant de stocker l’électricité excédentaire sous forme d’énergie chimique, en fabriquant du méthane de synthèse lorsque qu’il y a beaucoup de puissance produite. Le gaz serait ensuite stocké dans le réseau de stockage de gaz naturel existant, qui est déjà immense et serait donc capable d’absorber le gaz ainsi produit. Enfin, lorsque le réseau a besoin davantage d’électricité, il suffit d’en produire dans une centrale au gaz à partir du gaz stocké. Dans ce scénario-là, le problème ne vient ni de la Puissance du système de stockage/restitution d’énergie, ni de la capacité de stocker l’Énergie en elle-même. Cette fois, le problème vient du rendement du stockage : selon les progrès technologiques, il serait compris entre 20 et 30%, ce qui signifie qu’il faudrait stocker entre 3 et 5 kWh pour en récupérer un seul en sortie. Un rendement aussi faible obligerait donc à installer beaucoup plus d’éoliennes que dans les scénarios précédents.

La combinaison avec du thermique à flamme

La courbe de production électrique Au Danemark en décembre 2017 La courbe de production électrique au Danemark en décembre 2017, la catégorie «controllable production» désigne les centrales à Charbon et à Gaz. Dès qu’ils n’y a pas de vent, les Danois se rabattent sur les énergies fossiles. Source Paul-Frederik Bach, via J.M. Jancovici.

En réalité, la façon la plus pertinente d’utiliser la production éolienne, c’est de la coupler avec le thermique à flamme. Les centrales thermiques coûtent relativement peu cher à construire, mais le coût du combustible pèse lourdement. L’éolien représente donc un bon moyen de réduire la facture de carburant : les jours sans vent, l’électricité coûte son prix en carburant, mais dès que le vent se lève l’électricité est «gratuite». Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les deux plus gros producteurs mondiaux d’électricité d’origine éolienne (Chine et Allemagne) sont aussi parmi les plus gros utilisateurs de centrales à charbon.

Machine à extraire le charbon La face cachée des éoliennes : machine à extraire le charbon dans une mine de lignite en Allemagne. Photo : Alf van Beem, Wikipedia Commons, que j’ai aussi piqué à J.M. Jancovici.

Conclusion

À l’issue de cet article, j’espère vous avoir convaincu qu’on ne peut pas juste remplacer les énergies fossiles et l’énergie nucléaire par des éoliennes. Et malheureusement, l’essentiel des raisonnements présentés dans cet article s’appliquent également au solaire photovoltaïque12, ainsi qu’aux combinaisons des deux. La transition énergétique ne pourra donc pas se faire simplement en remplaçant nos modes de production d’électricité par des énergies renouvelables. Le mieux que l’on peut faire, c’est faire comme le Danemark ou l’Allemagne, et remplacer une grande partie de la production électrique fossile par des énergies renouvelables, tout en s’appuyant sur le thermique pour les creux (typiquement, les nuits sans vent). Pour la France dont le nucléaire représente une majorité de la production électrique, une telle combinaison avec le renouvelable n’est pas réellement possible, du fait de la flexibilité limité des centrales nucléaires et de leurs coûts fixes très importants. Développer les énergies renouvelables en remplacement du nucléaire supposerait donc d’agrandir le parc thermique pour compenser les creux de la production renouvelable. Au niveau mondial, l’évolution vers une combinaison thermique/renouvelable représente une amélioration par rapport au tout thermique qui est la norme aujourd’hui, mais ça reste quand même très fortement émetteur de gaz à effet de serre. Si la France se rapprochait du mix énergétique Allemand, les émissions de CO2 liées à la production électrique seraient multipliées par 713, en contradiction totale avec la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Tout n’est pas perdu pour autant : pour se débarrasser des centrales thermiques et des centrales nucléaires, il «suffit» de réduire notre consommation d’électricité. En effet, en réduisant nos besoins, on augmente mécaniquement le poids de l’hydroélectrique pilotable dans la production électrique, et on rend le stockage réalisable. Mais du coup, si on cherche à réaliser une transition vers une électricité 100% renouvelable, le plus important n’est pas tant de construire davantage d’éoliennes, mais bien de réduire notre consommation.

Réduire notre consommation d’énergie nécessite à la fois des mesures d’efficacité énergétique (comme l’isolation des bâtiments par exemple), et des mesures de sobriétés. Si les mesures d’efficacité énergétique nécessitent essentiellement des investissements, les mesures de sobriété quant à elles, nécessitent un changement profond des mentalités : il faut que toute la société, non seulement les individus, mais aussi les entreprises et les pouvoirs publiques, cesse de voir l’énergie comme une ressource abondante. Mais si on veut que l’énergie soit perçue comme une ressource rare, à laquelle il faut faire attention, il faudra probablement mettre en œuvre une fiscalité qui augmente fortement son prix, ce qui pose deux énormes défis politiques :

  • Comment faire pour qu’une augmentation forte du prix de l’énergie soit politiquement acceptable ? Si un gouvernement décidait d’augmenter de 20% le prix de l’essence et de l’électricité chaque année sur l’ensemble du quinquennat, je ne donne pas cher de sa cote de popularité. Et l’abrogation de cette mesure détestable ferait un très bon argument de campagne pour l’opposition lors des élections suivantes.
  • L’activité économique, mesurée par le PIB, est affectée par l’évolution du prix de l’énergie. Une fiscalité encourageant la sobriété aurait donc de bonne chance de réduire l’activité économique. Et c’est d’ailleurs le but, car la sobriété énergétique passe justement par une réduction des consommations superflues. Mais dans une société qui voit la croissance du PIB comme l’Alpha et l’Oméga de toute politique, l’idée même de sobriété sera très difficile à faire accepter.

Résumé (et TL;DR)

Si vous ne deviez retenir que 3 points essentiels :

  • Parler d’une Énergie en kWh produite par les sources renouvelables est un contre-sens physique. Par conséquent, tous les raisonnements logiques qui s’appuient là-dessus sont simplement faux. C’est notamment le cas de tous les raisonnements économiques, qui s’intéressent à comparer le prix de 1kWh produit par différentes sources.
  • L’éolien est une source intermittente, qui n’est pas capable de remplacer les sources pilotables. Le mieux qu’elle puisse faire, c’est de venir en complément d’une source pilotable qui ne fonctionnerait qu’en cas d’absence de vent. Pour cela il faut que la source pilotable en question soit suffisamment flexible (ce qui disqualifie le nucléaire).
  • À nos niveaux de consommation actuels, le stockage sous quelque forme que ce soit n’est pas réaliste. Si on veut un jour envisager de fonctionner avec 100% de sources renouvelables, il faudra réduire drastiquement notre consommation électrique, cela devrait donc être la priorité numéro 1, bien avant l’agrandissement de notre parc de production électrique en ajoutant des éoliennes.

Notes

  • ↑ 0certains défendent que l’énergie nucléaire répond à ces exigences-là en considérant un niveau réaliste de propreté et de sécurité. Ils n’ont pas tout à fait tort, car, même en comptant les accidents exceptionnels comme Tchernobyl ou Fukushima, les conséquences sanitaires et environnementales de l’industrie nucléaire civile sont ridiculement petites à l’échelle de l’ensemble des ravages causés par l’action humaine de manière générale. Cependant, le côté apprenti sorcier, le traumatisme de la guerre froid et de la multiplication des armes atomiques, combinés au caractère dévastateur et spectaculaire des incidents nucléaires majeurs, rendent socialement inacceptables les conséquences de cette industrie. Or, si on n’est pas socialement prêts à accepter les conséquences d’une technologie, il ne faut pas l’utiliser. Se cacher la tête dans le sable et en nier l’existence n’est pas une attitude admissible dans une société démocratique.
  • ↑ 1c’est un calcul approximatif, en pratique ça dépend beaucoup du rendement de la centrale en question, mais ça reste compris entre 100 et 350g. Le pouvoir calorifique d’un kilogramme de pétrole valant 11,6 kWh, il faut multiplier ce chiffre par le rendement d’une centrale à pétrole entre 25% (mauvaise Turbine à Combustion) et 60% (cycle combiné, ou groupe diesel)
  • ↑ 2pour éviter les confusions, quand je parle de l’Énergie en tant que grandeur physique, je l’écrirais avec une majuscule et en italique, mais pas lorsque je l’emploie dans une expression courante.
  • ↑ 3on néglige les pertes en ligne parce que ce n’est pas le sujet.
  • ↑ 4source : http://www.rte-france.com/fr/eco2mix/chiffres-cles
  • ↑ 5http://www.lowtechmagazine.com/2009/10/history-of-industrial-windmills.html
  • ↑ 6source : http://energiepourdemain.fr/puissance-dune-eolienne/
  • ↑ 7Ce n’est pas inutile pour autant : les riverains sont généralement agacés de voir des éoliennes à l’arrêt. Pour un exploitant d’éolienne, il vaut donc mieux qu’une éolienne tourne à vide plutôt qu’elle soit à l’arrêt. Certaines technologies permettent d’ailleurs de faire tourner les éoliennes par vent encore plus faible, favorisant ainsi «l’acceptation de l’implantation par les populations».
  • ↑ 8Puissance installée = 12 260MW (source). Minimum 2017 : 390MW en moyenne sur une heure le 26 octobre 2017 entre 15 et 16h. Maximum 2017 : 10 290MW le 30 décembre 2017 entre 13 et 14h (source).
  • ↑ 9Tableur LibreOffice de la simulation. Je ne me suis intéressé qu’aux données de production, en partant du principe que toute la production française était consommée par quelqu’un, même s’il s’agit d’un pays étranger. Faire une simulation en ne considérant que la consommation française reviendrait à dire à nos voisins Européens : «vous êtes bien gentils mais maintenant vous allez vous débrouiller tout seuls comme des grands».
  • ↑ 10À noter que l’ADEME a publié un rapport sur un scénario 100% renouvelable en 2050 dont les conclusions diffèrent assez nettement des miennes sur le sujet du stockage. Outre les hypothèses différentes (Puisqu’il s’agit d’un scénario cible pour 2050, l’ADEME prend en compte une réduction de la consommation d’électricité, une amélioration des technologies éoliennes, et la capacité de piloter la demande en électricité sur le réseau) qui expliquent une différence de résultat, certains chiffres de leur scénario ne me semblent pas très cohérents entre-eux.
  • ↑ 11C’est un chiffre très approximatif, ça dépend de la taille des batteries du parc de véhicules électriques, et de la période de l’année. En gros la durée de vie du système varie entre 2h50 si les voitures sont des Renault Zoé (batterie de 41 kWh) et qu’on est un jour de grand froid hivernal (demande d’électricité ~100GW) et 23h au maximum si les voitures sont des Tesla Model X et qu’on est le week-end du 15 aout (demande minimale de l’année, ~30GW)
  • ↑ 12en France et dans les pays du Nord de l’Europe du moins. Au Maroc ou en Californie, le solaire prend peut-être plus de sens.
  • ↑ 13France en 2017 74g de CO2 par kWh, source rte, Allemagne en 2016, 560g source. J’aurais aimé trouver une source plus fiable, mais je pense néanmoins que l’ordre de grandeur est le bon.
Le 19 octobre 2017

Idée reçue : l’État dépense trop et n’investit pas assez

Une idée très courante lorsqu’il est question de déficit public, c’est que celui-ci n’est acceptable que s’il sert à financer des investissements et non pas à payer les dépenses courantes de l’État, par exemple en payant des fonctionnaires trop nombreux. Ce raisonnement, comme tous ceux concernant le budget ou la dette de l’État, repose sur une analogie individuelle : «Si en tant qu’individu, j’emprunte de l’argent pour m’acheter une voiture (dont j’ai besoin pour travailler) ou une maison c’est un investissement donc tout va bien, par contre si j’emprunte chaque mois pour payer mes dépenses quotidiennes c’est que je vis au-dessus de mes moyens». En suivant cette analogie, l’État qui emprunte pour payer ses dépenses courantes vit donc au-dessus de ses moyens et le gouvernement se comporte donc en mauvais gestionnaire. Il devient alors important de mener une politique budgétaire rigoureuse pour remettre de l’ordre dans les comptes publics.

Ce raisonnement plein de bon sens oublie néanmoins un détail qui a son importance : un État n’est pas un particulier, et les «dépenses courantes» d’un État ne sont pas comparables aux dépenses de consommation d’un ménage, en fait elles sont bien plus comparables à des investissements.

Prenons le cas de l’État français et regardons en détail ce que représentent les dépenses courantes : dans le budget 2017, sur les 276 milliards d’Euros de dépenses de l’État (hors dette et crédits d’impôts)1, 137 milliards (50%) sont consacrés au 3 secteurs principaux : l’éducation nationale, la Défense et l’enseignement supérieur et la recherche. Traiter ces 3 secteurs comme de la «dépense courante» n’a absolument aucun sens : les dépenses consacrées à l’éducation et l’enseignement supérieur sont par définition des investissements puisqu’il s’agit de préparer le futur du pays, en formant les citoyens qui seront aussi les salariés, les cadres et les chefs d’entreprise de demain. Quant à la Défense, il s’agit moins d’une dépense que d’une assurance vie, qui paie ses fruits au moment où un conflit international éclate. De même, quand on connaît l’impact de la criminalité sur les performances économiques d’un pays, il n’est pas absurde de considérer que les dépenses de sécurité intérieure (19.5 milliards) et de Justice (8.5 milliards) sont une forme d’investissement pour la santé de l’économie française. En réalité, la majorité des dépenses de l’État sont des dépenses d’investissement au sens où elles apportent une valeur ajoutée à long terme aux acteurs économiques de la société. Il existe bien-sûr des exceptions, comme le Trésor Public dont le rôle est la collecte des impôts, il s’agit donc alors véritablement d’une dépense de fonctionnement, tout comme les frais administratifs des différents ministères ou administrations, ou encore les différents frais de représentation de l’Élysée, des ministères, et des collectivités territoriales : frais de bouche, de déplacement, de cérémonies, etc. On notera que la plupart des plans dit de «rigueur» ne s’attaquent explicitement pas à ces exceptions2 et concentrent leurs efforts sur la charge salariale de l’État, c’est-à-dire les fonctionnaires, dont plus de 85%3 travaillent dans les cinq domaines productifs de l’État cité précédemment (Éducation, Enseignement supérieur, Défense, Sécurité intérieure et Justice).

Les administrations ne sont pas sans défauts mais si leurs performances ne sont pas toujours au niveau de ce qu’on est en droit de souhaiter pour un pays comme le nôtre c’est notamment parce qu’elles manquent cruellement de moyens, victimes depuis des années des «économies budgétaires» successives. Loin d’être des gages de bonnes gestion, ces baisses de coûts sont au contraire des réductions d’investissements, et elles pèsent lourdement sur l’avenir de notre pays.

Notes

Photo de Donald Trump Donald Trump speaking at CPAC 2011 in Washington, D.C. by Gage Skidmore CC BY 2.0
Le 23 septembre 2017

Le retour du protec­tion­nisme aux États-Unis

Donald Trump a fait campagne sur le thème «Bring the jobs back», et il promet de le faire en mettant en place des mesures protec­tion­nistes : c’est-à-dire de mettre en place des taxes pour rendre les importations plus coûteuses et donner ainsi un avantage compétitif aux entreprises qui produisent localement. Comme toute idée portée par Trump, elle est forcément idiote et elle se fait descendre en règle par la majorité des médias. Même traitement de la part des économistes, qui n’ont cessé de faire l’apologie du libre-échange depuis le XIXème siècle, et pour lesquels le protec­tion­nisme est néces­sairement mauvais. Pourtant, les pays occidentaux se désin­dus­tria­lisent régulièrement depuis des années et il parait de plus en plus nécessaire de mettre fin à cette lame de fond qui emporte toute l’industrie occidentale et laisse des millions de personnes au chômage. Le protec­tion­nisme est une solution régulièrement évoquée dans le débat politique mais rarement discuté de façon factuelle, les anti-mondia­lisations étant toujours pour, et les libéraux idéo­lo­giquement contre. Le but de cet article est donc d’essayer de simuler les conséquences de la mise en place d’une mesure protec­tion­niste, en regardant comment elle affecterait les différents secteurs économiques selon différentes hypothèses.

La grosse inconnue : l’évolution du cours du dollar

Lorsqu’on parle du commerce inter­national entre deux pays dont la monnaie est différente, le taux de change entre ces monnaies est une variable centrale. Pour bien le comprendre, un petit exemple : admettons que le taux de change entre l’Euro et le Dollar soit de 1 (1€ = 1$). Prenons le cas d’une entreprise française, un producteur de vin de Bordeaux par exemple, à qui chaque bouteille de vin lui coûte 4.5€ à produire, et qu'il commer­cialise 5€ la bouteille. Un importateur américain va donc acheter la bouteille pour 5€. Pour cela, il doit se procurer 5€ sur le marché des changes, ce qui lui coûtera 5 dollars. Il pourra ensuite le vendre 7$ à un supermarché, empochant ainsi une marge de 2$.

Si le cours du dollar baisse par rapport à l’Euro, supposons maintenant que 1$ = 0.9€. L’importateur va donc payer 5.5$ par bouteille, s’il veut conserver sa marge, il va donc devoir vendre son vin 7.5$. Lorsque qu’une monnaie baisse sur le marché des changes, les importations deviennent plus coûteuses.

Symétri­quement, si le dollar monte (ou que l’Euro baisse), supposons que 1$ = 1.1€. L’importateur ne va plus payer que 4.5$ par bouteille. Il peut alors vendre son vin 6.5$ tout en conservant sa marge. Lorsque qu’une monnaie monte sur le marché des changes, les importations coûtent moins cher.

Pour le consommateur d’un pays, plus la monnaie de son pays se renforce sur le marché des changes, moins les biens de consommation importés lui coûtent cher : son pouvoir d’achat augmente. Par contre, le phénomène inverse se produit au niveau des exportations : pour une entreprise exportatrice, un renché­ris­sement de sa monnaie sur le marché des changes signifie que ses produits deviennent plus cher sur les marchés inter­nationaux, elle perd donc en compétitivité. Symétri­quement, une baisse du cours de sa monnaie rend l’entreprise exportatrice plus compétitive. Un affaiblissement de la monnaie agit donc dans le même sens qu’une mesure protec­tion­niste en dissuadant les importations, et le renforcement de la monnaie agit en sens contraire. L’impact d’une mesure protec­tion­niste est donc fortement dépendant de l’évolution des taux de changes qui va suivre la mise en place de cette mesure. Pour la suite de l’analyse, on va donc étudier les deux scénarios séparément.

Première possibilité : le cours du dollar augmente

Pourquoi le cours du dollar devrait donc monter ? Plusieurs mécanismes peuvent aboutir à l’augmentation du cours du dollar, je vais en présenter un pour illustration. Celui-ci se déroule en plusieurs étapes :

  1. La taxe protec­tion­niste rend les importations plus coûteuses, donc les Américains importent moins (car leurs revenus n’ont pas augmenté).
  2. Les entreprises offrent donc moins de dollar sur le marché des changes.
  3. Les exportations américaines, elles ne sont pas touchées par la règle, elles exportent donc toujours autant.
  4. Les entreprises étrangères ont donc toujours besoin d’autant de dollars pour acheter les produits américains.
  5. Comme il y a moins de dollars sur le marché, le prix d’un dollar augmente.

En théorie, le cours du dollar devrait donc se stabiliser à un niveau tel que les exportations et les importations s’équilibrent à nouveau. Sauf qu’en pratique, c’est plus compliqué que ça : par exemple, vous n’êtes pas sans savoir que les importations et les exportations ne sont pas du tout à l’équilibre aux États-Unis, et ce depuis une éternité (19771 pour être précis). Le marché des changes étant sensible à plein de paramètres ayant des effets antagonistes, bien malin celui qui peut prédire l’impact d’une mesure politique fiscale sur le cours du dollar.

Dans un premier temps admettons donc que le cours du dollar augmente. Ça n’annulerait pas l’effet de la taxe pour autant : la montée du cours du dollar provoquant mécaniquement une baisse des exportations, cette baisse ayant un effet modérateur sur la montée du dollar (s’il y a moins d’exportations, il y a moins de pénurie de dollar sur le marché des changes, ce qui empêche le cours du dollar de monter trop haut). On se retrouverait donc dans une situation où l’ensemble des échanges américains avec le reste du monde diminuent : à la fois les importations, sous l’effet de la hausse des prix induit par la taxe, et les exportations sous l’effet du renché­ris­sement du dollar. Les entreprises importatrices tout comme les entreprises exportatrices verraient donc leur situation économique se dégrader. Par contre, les entreprises produisant sur le sol américain, elles, s’en porteraient d’autant mieux : face au renché­ris­sement des voitures japonaises ou Allemandes, l’industrie américaine ayant là un avantage compétitif permettant de reconquérir son marché intérieur. Et cela vaut pour toutes les industries toujours présentes sur le sol américain.

L’effet final serait-il bénéfique ou néfaste ?

Question difficile, ça dépend de beaucoup de choses, et il y aurait beaucoup d’effet imbriqués, notamment :

  • si les entreprises exportatrices mettent la clé sous la porte, multiplient les plans de licenciement et réduisent les commandes auprès de leurs fournisseurs suite à une baisse de leur commande, ça affectera forcément le reste de l’économie.
  • l’impact sur les importations est plus diffus : non seulement il touchera les chaînes de distributions qui commer­cialisent des produits importés bon-marchés, mais il touchera également les entreprises qui transforment aux États-Unis des produits acheté à l’étranger (matière premières ou produits manufacturés).
  • certains produits ne sont plus du tout fabriqués localement, d’autres sont fabriqués en trop petite quantité pour l’ensemble du marché américain. Enfin certains sont soit plus chers que leurs équivalents étrangers, soit de moins bonne qualité pour des prix similaires. Dans un premier temps, il est fort probable que la baisse des importations se traduise par une baisse de la consommation tout court, avec une faible augmentation de la consommation intérieure. De même l’augmentation des prix des produits importés risque de se traduire par une augmentation des prix en général.

Présenté comme ça, le tableau ne fait pas rêver : baisse de l’activité économique, montée du chômage et inflation.

Mais tout n’est pas noir pour autant, à moyen terme cette mesure avantage la production américaine de biens jusqu’alors importés. La production locale redevient compétitive, ce qui attire les investis­sements dans le secteur industriel américain, source de création d’emploi.

Lequel de ces deux phénomènes prendrait le dessus ? Bien malin celui qui pourrait le dire. Comme on l’a vu suite au référendum sur le Brexit, il est très difficile de quantifier les poids relatifs des différents effets : là où les économistes envisageait un ralentis­sement de l’économie plus ou moins important dès la deuxième moitié de l’année 20162, la réalité s’est avérée bien plus sournoise, avec une embellie économique lors du 2ème semestre 2016 prenant tout le monde à contre-pied. Le ralentis­sement étant finalement intervenu au cours du premier semestre 2017, mais on ignore encore si cela continuera par la suite.

Dans le cas qui nous intéresse, ce qui rend la situation d’autant plus difficile à anticiper, c’est l’existence d’un effet de spirale : si l’effet positif sur la production locale prédomine sur l’effet négatif de la diminution du commerce extérieure, l’économie américaine se portera relativement mieux que le reste du monde, donc les investis­sements sur la production intérieure seront d’autant plus attractifs, ce qui renforcera l’effet positif. Si c’est l’effet négatif qui l’emporte, l’économie américaine se portera mal, ce qui dissuadera les investisseurs d’investir sur le sol américain, ce qui ralentira la transition vers la production locale.

Et si le cours du dollar ne monte pas ?

Dans le premier scénario, on a envisagé l’hypothèse d’une hausse du cours du dollar sur le marché des changes, mais il est aussi possible que le cours du dollar ne monte pas, voire qu’il baisse. Soit spontanément, soit parce que le gouvernement américain fait en sorte qu’il ne monte pas en intervenant sur le marché des changes. En effet, contrairement à une baisse, une hausse de la valeur de sa monnaie sur le marché des changes est très facile à contrer : il suffit de vendre des dollars au rabais pour empêcher le taux de change de monter.

On en arrive donc à notre 2ème scénario : que se passerait-il dans le cas où le cours du dollar restait le même qu’aujourd’hui ?

  • par rapport au premier scénario, le coût des importations augmenterait encore plus fortement (puisque la taxe ne serait pas compensée par une hausse du dollar), ce qui conduirait à une augmentation des prix plus importante que dans le premier cas. L’inflation serait donc plus importante encore, et la consommation diminuerait d’autant plus. Le secteur de la distribution serait donc encore plus touché que dans le scénario précédent.
  • par contre, le prix des exportations n’augmenterait pas, donc les entreprises exportatrices ne seraient pas signi­fi­ca­tivement affectées. En pratique, les coûts de ces entreprises sont susceptibles d’augmenter quand même, à cause de l’augmentation du prix des produits importés, mais je pense que ça n’aurait pas un impact significatif. À court terme la compétitivité des entreprises exportatrices serait donc préservée. À moyen terme cependant, il est probable qu’elles subissent elles aussi une baisse de compétitivité pour deux raisons différentes : d’une part, la taxe sur les importations étant contraire aux règles de l’OMC, un certain nombre de pays (Chine en tête) seraient en droit de mettre eux-mêmes des taxes visant les exportations américaines dans leur pays. D’autre part, la hausse des prix des biens à la consommation pousserait les salariés à réclamer des hausses de salaires, augmentant donc les coûts de production.
  • enfin, puisque le prix des importations augmente davantage que dans le premier scénario, la production intérieure gagne encore d’avantage en compétitivité, ce qui stimulerait encore d’avantage les investis­sements dans le secteur manufacturier américain.

Dans ce deuxième cas, les entreprises exportatrices ne seraient pas affectées, et la production locale serait encore plus avantagée, ce qui serait bénéfique à l’économie américaine. Cependant, la hausse des prix des produits importés n’étant pas amortie par une évolution des taux de change, l’augmentation des prix des biens de consommation pourrait être brutale, ce qui réduirait le pouvoir d’achat des ménages américains, et particu­lièrement les plus pauvres, et nuirait au secteur de la distribution. Quel effet serait prépondérant ? Encore une fois c’est dur à dire, mais le comportement de l’économie britannique suite à la chute de la Livre Sterling au lendemain du vote pour Brexit laisse envisager ce qui pourrait se produire dans un tel cas.

Conséquences inter­nationales

Du point de vue inter­national, une telle mesure peut avoir des effets plus ou moins importants :

  • si les exportations à destination des États-Unis diminuent, alors l’économie des pays fortement exportateurs vers les États-Unis (Israël, Corée du Sud, etc.) en prendra un coup.
  • si l’État américain intervient sur le marché des changes pour empêcher le cours du dollar de monter, d’autres pays pourraient être tentés de faire pareil en représailles (Chine, Union Européenne) et déclencher ainsi une véritable guerre des changes qui risquerait de nuire à l’ensemble du commerce inter­national.
  • enfin, puisqu’une telle régle­men­tation est illégale du point de vue de l’Organisation Mondiale du Commerce, certains pays pourraient décider à leur tour de mettre en place des mesures protec­tion­nistes.

La mise en œuvre d’une telle mesure constituerait dans tous les cas une rupture franche par rapport à la dynamique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui a vu la suppression progressive des droits de douane et l’explosion du commerce inter­national.

Que conclure :

On voit donc qu’une telle mesure protec­tion­niste, c’est un peu comme jouer le sort de son économie à pile ou face : si tout se passe bien, la ré-indus­tria­lisation compense les effets négatifs, mais si ça ne se passe pas si bien que prévu l’économie américaine peut prendre un coup sans pour autant permettre d’atteindre l’objectif initial. Par contre une chose est sûre elle provoquera une hausse des prix des biens de consommation aux États-Unis, ce qui pénaliserait à la fois les personnes aux revenus les plus modestes ainsi que les épargnants. Elle serait aussi vraisemb­lab­lement source de tensions inter­nationales et nuirait au commerce mondial. Enfin, de mon point de vue elle s’attaque à seulement l’un des deux aspects de la mondia­lisation : la mondia­lisation du commerce des biens, l’autre aspect étant la mondia­lisation des capitaux. Or c’est la deuxième qui est la plus nuisible ! Les déloca­li­sations ne sont pas causées par la seule circulation des biens : c’est parce qu’un industriel peut librement investir son capital dans un pays étranger qu’il délocalise. La libre circulation des capitaux encourage les investisseurs à faire des arbitrages sur le pays de destination de leurs investis­sements, et généralement ces arbitrages se font en faveur de pays pour lesquels le coût du travail est le plus faible. De mon point de vue, les mesures protec­tion­nistes visant à lutter contre la circulation des biens sans toucher à la mondia­lisation des mouvements de capitaux revient un peu à prendre le problème à l’envers.

Notes

Photo d’Emmanuel Macron Emmanuel Macron lors du sommet franco-chinois de Toulouse by Pablo Tupin-Noriega (Wikimedia France) CC BY-SA 4.0
Le 3 juillet 2017

Qu’attendre du quinquennat de Macron

Si on en croit ses partisans et les médias, l’élection d’Emmanuel Macron offre une perspective inédite à notre pays. L’arrivée au pouvoir d’un homme politique d’un nouveau genre, porté par un élan populaire sans précédent qui va lui permettre de réformer le pays en profondeur et enfin lui permettre de retrouver son rang sur la scène internationale.

Je suis extrêmement sceptique vis-à-vis de ce discours officiel et dans cet article je vais expliquer pourquoi je pense qu’il ne tient pas. Pour autant je pense que l’élection de Macron est porteuse d’un certains nombres d’espoirs légitimes. Le but de cet article est donc de voir ce qu’on est vraiment en droit d’espérer de ce quinquennat, au-delà du «story-telling» de l’équipe de communication du nouveau président.

L’espoir déçu de renouveau démocratique

L’une des promesses phares du président Macron pour les législatives était de restaurer l’essence démocratique de la Vème république et de rapprocher les Français de leurs représentants en se débarrassant de la caste des professionnels de la politique, qui enkyste le parlement depuis des décennies. Cette idée, louable, a pourtant rencontré un échec partiel. Ce n’est pas dans la réalisation que l’idée a échouée : les candidats de La République En Marche ont raflé la majorité des sièges à l’assemblé, et la majorité d’entre eux n’étant pas d’anciens députés, on se retrouve avec une assemblée qui n’a jamais connu autant de députés novices, et c’est une bonne chose. (Mais il faut rendre à César ce qui est à César, le renouvellement n’est pas uniquement dû à la victoire de La République En Marche. Il est aussi lié à la mise en œuvre de la loi sur le non-cumul des mandats : chez les députés UDI/LR le taux de renouvellement s’élève à 42%). Pourquoi parler d’échec alors ? Et bien simplement parce que ce renouvellement n’est pas issu d’un quelconque élan démocratique, bien au contraire puisque cette élection législative a suscité des records d’indifférence de la part des électeurs. C’est donc plus la résignation que l’enthousiasme qui marque ce début de quinquennat. Cela se constate aussi dans la démographie de la nouvelle assemblée : les professionnels de la politique ont bien disparu, mais ils ont laissé la place à une cohorte de cadres issus des grandes écoles, remplacement de la noblesse élective par la bourgeoisie professionnelle en quelque sorte. On est bien loin de la reconquête de la représentation par la «société civile» tant vantée.

Peu d’enthousiasme pour les réformes

À défaut d’adhésion forte, le nouveau président pourra compter sur l’apathie et la résignation des Français pour mener à bien ses réformes sans rencontrer trop d’opposition. En manque de projet alternatif, et résigné par des années de luttes stériles qui n’ont jamais fait que retarder la destruction inéluctable du modèle français par le rouleau-compresseur libéral et mondialiste, les Français sont prêts pour le grand bouleversement Macronien. La majorité ne croit pas que le démantèlement du droit du travail va réduire le chômage et relancer la croissance, et même quand elle y croit elle n’est guère enthousiaste : dégrader les conditions de travail des 90% qui travaillent pour que les autres 10% puissent trouver un emploi précaire, ça ne fait rêver personne. Mais Macron l’assume, il n’est pas là pour faire rêver, il est là pour redresser les comptes publics, voilà pour le projet de société.

Politiquement, Emmanuel Macron n’est pas «un homme neuf» : énarque, conseiller du président de la république puis Ministre de l’Économie, son parcours est assez classique, mais il aura eu le talent de s’émanciper du parti Socialiste au bon moment et de réussir avec brio sa campagne de communication pour s’imposer à la présidentielle. Idéologiquement par contre, il s’inscrit dans la continuité totale des 35 dernières années de politique française, incarnée à la fois par la droite et par le mal nommé Parti «Socialiste». Partisan du libre échange et de la suppression des règlementations, il voit dans l’entreprise à but lucratif le moyen exclusif de la création de valeur pour la société et dans le marché le seul système de régulation pertinent.

Les Français ne partagent pas sa foi, ils ont bien vu les ravages du marché sur le monde et la société: des délocalisations à la déforestation, de la disparition des ouvriers à celle des ours polaires. Pour autant «il n’y a pas d’alternative», le totalitarisme soviétique ne fait plus rêver personne (fort heureusement), et les deux partis d’opposition (FN et Jean-Luc Mélenchon) sont construits sur le rejet : rejet des étrangers d’un côté, rejet de la Finance de l’autre et rejet partagé de l’Europe. Mais s’il peut suffire à grappiller ponctuellement les voix des électeurs en colère, le rejet n’a pas la force d’inspirer l’espoir dont les gens ont besoin pour se battre au quotidien.

Quelques bonnes nouvelles

Malgré ces perspectives peu réjouissantes, je pense qu’il a plusieurs lueurs d’espoir en ce début de quinquennat.

La première c’est la mort du bipartisme hypocrite qui ronge la politique Française depuis 35 ans. Trente-cinq années de comédie ridicules où le parti d’opposition tire à boulet rouge sur toutes les mesures du gouvernement en place, pour ensuite défendre les même lois une fois l’alternance venue. Regardez les interventions de François Hollande en 2006 qui s’indigne contre l’utilisation de l’article 49.3 par le gouvernement Villepin avant d’en défendre l’utilisation par Manuel Valls 10 ans plus tard.

François Hollande en 2006 s’indignant contre l’usage du 49.3

Les exemples sont innombrables et touchent tous les aspects de la politique du pays (réforme des retraites, déchéance de la nationalité, fichage biométrique des citoyens, etc.). Cette comédie peut enfin cesser, le parti socialiste et le parti de droite sont laminés et bon nombre de leurs membres ont rejoint leurs anciens «adversaires» au sein de La République En Marche. L’UMPS enfin réunie sous une même bannière ! Même pour les députés LR et PS qui n’ont pas rallié la majorité présidentielle, l’hypocrisie devrait être moins présente : je vois mal les anciens soutiens de François Fillon s’insurger contre la réduction du nombre de fonctionnaires ni Benoit Hamon prendre la défense de l’agro-industrie.

Autre point positif, la destruction de ces machines politiciennes qu’étaient le PS et LR, avec leurs guerres de pouvoir intestines entre différents «courants» à géométrie et idéologie variable. Ces deux monstres protéiformes sont à l’agonie et ils ne contrôleront plus jamais les rênes de la politique Française, pour le plus grand bonheur de tout le monde. Avec la mort de ces deux cartels politiques, on peut espérer voir diminuer les comportements «moutonniers» des députés. Dans le vieux système bipartisan, les députés étaient des hommes politiques de carrière, investis par leur parti. La moindre infidélité à la ligne directrice étant synonyme de sanctions et pouvant mener à la fin de la carrière politique. C’est pourquoi on a pu voir dans les précédentes législatures des parlementaires s’indigner à grands cris contre la politique de leur majorité mais sans jamais que leur vote ne suive leur parole. Benoit Hamon et les «frondeurs» du PS par exemple n’ont pas voté la motion de censure contre Manuel Valls lors du 49.3 sur la loi travail1. Une bonne partie des députés LREM n’ayant pas fait leur carrière en politique, on peut espérer une plus grande indépendance vis-à-vis de la direction officielle du parti. Cela ne sera probablement pas le cas lors de la première année de mandat, l’inexpérience de ces nouveaux députés assurant au gouvernement une certaine docilité mais, au fil du temps, on pourrait voir ces députés prendre de plus en plus d’autonomie. Si tel était le cas, l’assemblée pourrait peut-être redevenir un lieu central du débat démocratique, au lieu de se comporter comme une simple chambre d’enregistrement des lois soumises par le gouvernement comme ça a pu être le cas ces dernières années. À moins que le gouvernement ne s’habitue aux ordonnances, et au confort de l’absence de débat parlementaire qu’elles entrainent …

Pour finir avec la nouvelle majorité parlementaire, on peut se réjouir du fait que la représentation des femmes y est à son plus haut niveau historique, faisant un pas de plus vers la parité en politique. Certains verront le verre à moitié vide, faisant remarquer que les femmes n’occupent aucun des postes important à l’assemblée2 (présidence de l’assemblé, présidence des groupes parlementaires) pas plus que les ministères importants (la première femme dans l’ordre protocolaire des ministres du gouvernement pointe à la 11ème place). Mais je préfère voir le verre à moitié plein, en me disant qu’avec 3 fois plus de femmes au parlement qu’il y a 15 ans3, on est quand même dans une très bonne dynamique.

L’inconnue Nicolas Hulot

Enfin, la lueur d’espoir que j’ai vis-à-vis du quinquennat à venir, c’est aussi la plus grande surprise des nominations du gouvernement : Nicolas Hulot. Engagé de longue date pour la protection de l’environnement, son attachement à l’écologie ne fait aucun doute, contrairement à ses prédécesseurs au poste de Ministre de l’Écologie (Ségolène Royal lol !). La vraie question sera de savoir quel Nicolas Hulot sera au gouvernement : aura-t-on affaire au Nicolas Hulot anti-capitaliste et décroissant, en colère contre la société contemporaine qui détruit sa planète pour des profits à court terme, réalisateur du film le Syndrome du Titanique, celui qui accompagne Pierre Rabhi et Cyril Dion lors de l’annonce de la création du Mouvement Colibris ?

annonce de la création du mouvement colibris Nicolas Hulot (à gauche), Pierre Rabhi (au centre) et Cyril Dion lors de la fondation du Mouvement Colibris

Ou bien aura-t-on plutôt affaire au Nicolas Hulot policé, qui s’arrange avec les multinationales pour financer sa fondation, ou se satisfait de l’accord de Paris sur le climat, monument d’hypocrisie des dirigeants politiques du monde entier ?

Dans les plans de Macron, l’écologie est avant-tout un faire-valoir marketing, et la nomination de Nicolas Hulot rentre incontestablement dans cette logique de communication. Mais Nicolas Hulot lui-même n’a pas grand-chose à gagner à rester dans ce rôle d’alibi écologique de Macron. Les mauvaises langues pourraient dire qu’il l’a fait juste pour avoir un poste de Ministre, mais ça ne tient pas la route une seconde : il a décliné les propositions de tous les chefs d’états précédents qui lui ont proposé ce poste de ministre depuis 10 ans. Si c’était le poste de ses rêves, il aurait largement pu saisir l’occasion par le passé. Pourquoi alors, si ce n’est parce qu’il espère sincèrement être capable de peser pour faire changer les choses ?

En tout cas, je lui souhaite bon courage, car j’ai du mal à voir comment la transition écologique peut s’intégrer dans le business plan de la start-up nation président Macron.

Notes