Le retour du protectionnisme aux États-Unis
Donald Trump a fait campagne sur le thème «Bring the jobs back», et il promet de le faire en mettant en place des mesures protectionnistes : c’est-à-dire de mettre en place des taxes pour rendre les importations plus coûteuses et donner ainsi un avantage compétitif aux entreprises qui produisent localement. Comme toute idée portée par Trump, elle est forcément idiote et elle se fait descendre en règle par la majorité des médias. Même traitement de la part des économistes, qui n’ont cessé de faire l’apologie du libre-échange depuis le XIXème siècle, et pour lesquels le protectionnisme est nécessairement mauvais. Pourtant, les pays occidentaux se désindustrialisent régulièrement depuis des années et il parait de plus en plus nécessaire de mettre fin à cette lame de fond qui emporte toute l’industrie occidentale et laisse des millions de personnes au chômage. Le protectionnisme est une solution régulièrement évoquée dans le débat politique mais rarement discuté de façon factuelle, les anti-mondialisations étant toujours pour, et les libéraux idéologiquement contre. Le but de cet article est donc d’essayer de simuler les conséquences de la mise en place d’une mesure protectionniste, en regardant comment elle affecterait les différents secteurs économiques selon différentes hypothèses.
La grosse inconnue : l’évolution du cours du dollar
Lorsqu’on parle du commerce international entre deux pays dont la monnaie est différente, le taux de change entre ces monnaies est une variable centrale. Pour bien le comprendre, un petit exemple : admettons que le taux de change entre l’Euro et le Dollar soit de 1 (1€ = 1$). Prenons le cas d’une entreprise française, un producteur de vin de Bordeaux par exemple, à qui chaque bouteille de vin lui coûte 4.5€ à produire, et qu'il commercialise 5€ la bouteille. Un importateur américain va donc acheter la bouteille pour 5€. Pour cela, il doit se procurer 5€ sur le marché des changes, ce qui lui coûtera 5 dollars. Il pourra ensuite le vendre 7$ à un supermarché, empochant ainsi une marge de 2$.
Si le cours du dollar baisse par rapport à l’Euro, supposons maintenant que 1$ = 0.9€. L’importateur va donc payer 5.5$ par bouteille, s’il veut conserver sa marge, il va donc devoir vendre son vin 7.5$. Lorsque qu’une monnaie baisse sur le marché des changes, les importations deviennent plus coûteuses.
Symétriquement, si le dollar monte (ou que l’Euro baisse), supposons que 1$ = 1.1€. L’importateur ne va plus payer que 4.5$ par bouteille. Il peut alors vendre son vin 6.5$ tout en conservant sa marge. Lorsque qu’une monnaie monte sur le marché des changes, les importations coûtent moins cher.
Pour le consommateur d’un pays, plus la monnaie de son pays se renforce sur le marché des changes, moins les biens de consommation importés lui coûtent cher : son pouvoir d’achat augmente. Par contre, le phénomène inverse se produit au niveau des exportations : pour une entreprise exportatrice, un renchérissement de sa monnaie sur le marché des changes signifie que ses produits deviennent plus cher sur les marchés internationaux, elle perd donc en compétitivité. Symétriquement, une baisse du cours de sa monnaie rend l’entreprise exportatrice plus compétitive. Un affaiblissement de la monnaie agit donc dans le même sens qu’une mesure protectionniste en dissuadant les importations, et le renforcement de la monnaie agit en sens contraire. L’impact d’une mesure protectionniste est donc fortement dépendant de l’évolution des taux de changes qui va suivre la mise en place de cette mesure. Pour la suite de l’analyse, on va donc étudier les deux scénarios séparément.
Première possibilité : le cours du dollar augmente
Pourquoi le cours du dollar devrait donc monter ? Plusieurs mécanismes peuvent aboutir à l’augmentation du cours du dollar, je vais en présenter un pour illustration. Celui-ci se déroule en plusieurs étapes :
- La taxe protectionniste rend les importations plus coûteuses, donc les Américains importent moins (car leurs revenus n’ont pas augmenté).
- Les entreprises offrent donc moins de dollar sur le marché des changes.
- Les exportations américaines, elles ne sont pas touchées par la règle, elles exportent donc toujours autant.
- Les entreprises étrangères ont donc toujours besoin d’autant de dollars pour acheter les produits américains.
- Comme il y a moins de dollars sur le marché, le prix d’un dollar augmente.
En théorie, le cours du dollar devrait donc se stabiliser à un niveau tel que les exportations et les importations s’équilibrent à nouveau. Sauf qu’en pratique, c’est plus compliqué que ça : par exemple, vous n’êtes pas sans savoir que les importations et les exportations ne sont pas du tout à l’équilibre aux États-Unis, et ce depuis une éternité (19771 pour être précis). Le marché des changes étant sensible à plein de paramètres ayant des effets antagonistes, bien malin celui qui peut prédire l’impact d’une mesure politique fiscale sur le cours du dollar.
Dans un premier temps admettons donc que le cours du dollar augmente. Ça n’annulerait pas l’effet de la taxe pour autant : la montée du cours du dollar provoquant mécaniquement une baisse des exportations, cette baisse ayant un effet modérateur sur la montée du dollar (s’il y a moins d’exportations, il y a moins de pénurie de dollar sur le marché des changes, ce qui empêche le cours du dollar de monter trop haut). On se retrouverait donc dans une situation où l’ensemble des échanges américains avec le reste du monde diminuent : à la fois les importations, sous l’effet de la hausse des prix induit par la taxe, et les exportations sous l’effet du renchérissement du dollar. Les entreprises importatrices tout comme les entreprises exportatrices verraient donc leur situation économique se dégrader. Par contre, les entreprises produisant sur le sol américain, elles, s’en porteraient d’autant mieux : face au renchérissement des voitures japonaises ou Allemandes, l’industrie américaine ayant là un avantage compétitif permettant de reconquérir son marché intérieur. Et cela vaut pour toutes les industries toujours présentes sur le sol américain.
L’effet final serait-il bénéfique ou néfaste ?
Question difficile, ça dépend de beaucoup de choses, et il y aurait beaucoup d’effet imbriqués, notamment :
- si les entreprises exportatrices mettent la clé sous la porte, multiplient les plans de licenciement et réduisent les commandes auprès de leurs fournisseurs suite à une baisse de leur commande, ça affectera forcément le reste de l’économie.
- l’impact sur les importations est plus diffus : non seulement il touchera les chaînes de distributions qui commercialisent des produits importés bon-marchés, mais il touchera également les entreprises qui transforment aux États-Unis des produits acheté à l’étranger (matière premières ou produits manufacturés).
- certains produits ne sont plus du tout fabriqués localement, d’autres sont fabriqués en trop petite quantité pour l’ensemble du marché américain. Enfin certains sont soit plus chers que leurs équivalents étrangers, soit de moins bonne qualité pour des prix similaires. Dans un premier temps, il est fort probable que la baisse des importations se traduise par une baisse de la consommation tout court, avec une faible augmentation de la consommation intérieure. De même l’augmentation des prix des produits importés risque de se traduire par une augmentation des prix en général.
Présenté comme ça, le tableau ne fait pas rêver : baisse de l’activité économique, montée du chômage et inflation.
Mais tout n’est pas noir pour autant, à moyen terme cette mesure avantage la production américaine de biens jusqu’alors importés. La production locale redevient compétitive, ce qui attire les investissements dans le secteur industriel américain, source de création d’emploi.
Lequel de ces deux phénomènes prendrait le dessus ? Bien malin celui qui pourrait le dire. Comme on l’a vu suite au référendum sur le Brexit, il est très difficile de quantifier les poids relatifs des différents effets : là où les économistes envisageait un ralentissement de l’économie plus ou moins important dès la deuxième moitié de l’année 20162, la réalité s’est avérée bien plus sournoise, avec une embellie économique lors du 2ème semestre 2016 prenant tout le monde à contre-pied. Le ralentissement étant finalement intervenu au cours du premier semestre 2017, mais on ignore encore si cela continuera par la suite.
Dans le cas qui nous intéresse, ce qui rend la situation d’autant plus difficile à anticiper, c’est l’existence d’un effet de spirale : si l’effet positif sur la production locale prédomine sur l’effet négatif de la diminution du commerce extérieure, l’économie américaine se portera relativement mieux que le reste du monde, donc les investissements sur la production intérieure seront d’autant plus attractifs, ce qui renforcera l’effet positif. Si c’est l’effet négatif qui l’emporte, l’économie américaine se portera mal, ce qui dissuadera les investisseurs d’investir sur le sol américain, ce qui ralentira la transition vers la production locale.
Et si le cours du dollar ne monte pas ?
Dans le premier scénario, on a envisagé l’hypothèse d’une hausse du cours du dollar sur le marché des changes, mais il est aussi possible que le cours du dollar ne monte pas, voire qu’il baisse. Soit spontanément, soit parce que le gouvernement américain fait en sorte qu’il ne monte pas en intervenant sur le marché des changes. En effet, contrairement à une baisse, une hausse de la valeur de sa monnaie sur le marché des changes est très facile à contrer : il suffit de vendre des dollars au rabais pour empêcher le taux de change de monter.
On en arrive donc à notre 2ème scénario : que se passerait-il dans le cas où le cours du dollar restait le même qu’aujourd’hui ?
- par rapport au premier scénario, le coût des importations augmenterait encore plus fortement (puisque la taxe ne serait pas compensée par une hausse du dollar), ce qui conduirait à une augmentation des prix plus importante que dans le premier cas. L’inflation serait donc plus importante encore, et la consommation diminuerait d’autant plus. Le secteur de la distribution serait donc encore plus touché que dans le scénario précédent.
- par contre, le prix des exportations n’augmenterait pas, donc les entreprises exportatrices ne seraient pas significativement affectées. En pratique, les coûts de ces entreprises sont susceptibles d’augmenter quand même, à cause de l’augmentation du prix des produits importés, mais je pense que ça n’aurait pas un impact significatif. À court terme la compétitivité des entreprises exportatrices serait donc préservée. À moyen terme cependant, il est probable qu’elles subissent elles aussi une baisse de compétitivité pour deux raisons différentes : d’une part, la taxe sur les importations étant contraire aux règles de l’OMC, un certain nombre de pays (Chine en tête) seraient en droit de mettre eux-mêmes des taxes visant les exportations américaines dans leur pays. D’autre part, la hausse des prix des biens à la consommation pousserait les salariés à réclamer des hausses de salaires, augmentant donc les coûts de production.
- enfin, puisque le prix des importations augmente davantage que dans le premier scénario, la production intérieure gagne encore d’avantage en compétitivité, ce qui stimulerait encore d’avantage les investissements dans le secteur manufacturier américain.
Dans ce deuxième cas, les entreprises exportatrices ne seraient pas affectées, et la production locale serait encore plus avantagée, ce qui serait bénéfique à l’économie américaine. Cependant, la hausse des prix des produits importés n’étant pas amortie par une évolution des taux de change, l’augmentation des prix des biens de consommation pourrait être brutale, ce qui réduirait le pouvoir d’achat des ménages américains, et particulièrement les plus pauvres, et nuirait au secteur de la distribution. Quel effet serait prépondérant ? Encore une fois c’est dur à dire, mais le comportement de l’économie britannique suite à la chute de la Livre Sterling au lendemain du vote pour Brexit laisse envisager ce qui pourrait se produire dans un tel cas.
Conséquences internationales
Du point de vue international, une telle mesure peut avoir des effets plus ou moins importants :
- si les exportations à destination des États-Unis diminuent, alors l’économie des pays fortement exportateurs vers les États-Unis (Israël, Corée du Sud, etc.) en prendra un coup.
- si l’État américain intervient sur le marché des changes pour empêcher le cours du dollar de monter, d’autres pays pourraient être tentés de faire pareil en représailles (Chine, Union Européenne) et déclencher ainsi une véritable guerre des changes qui risquerait de nuire à l’ensemble du commerce international.
- enfin, puisqu’une telle réglementation est illégale du point de vue de l’Organisation Mondiale du Commerce, certains pays pourraient décider à leur tour de mettre en place des mesures protectionnistes.
La mise en œuvre d’une telle mesure constituerait dans tous les cas une rupture franche par rapport à la dynamique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui a vu la suppression progressive des droits de douane et l’explosion du commerce international.
Que conclure :
On voit donc qu’une telle mesure protectionniste, c’est un peu comme jouer le sort de son économie à pile ou face : si tout se passe bien, la ré-industrialisation compense les effets négatifs, mais si ça ne se passe pas si bien que prévu l’économie américaine peut prendre un coup sans pour autant permettre d’atteindre l’objectif initial. Par contre une chose est sûre elle provoquera une hausse des prix des biens de consommation aux États-Unis, ce qui pénaliserait à la fois les personnes aux revenus les plus modestes ainsi que les épargnants. Elle serait aussi vraisemblablement source de tensions internationales et nuirait au commerce mondial. Enfin, de mon point de vue elle s’attaque à seulement l’un des deux aspects de la mondialisation : la mondialisation du commerce des biens, l’autre aspect étant la mondialisation des capitaux. Or c’est la deuxième qui est la plus nuisible ! Les délocalisations ne sont pas causées par la seule circulation des biens : c’est parce qu’un industriel peut librement investir son capital dans un pays étranger qu’il délocalise. La libre circulation des capitaux encourage les investisseurs à faire des arbitrages sur le pays de destination de leurs investissements, et généralement ces arbitrages se font en faveur de pays pour lesquels le coût du travail est le plus faible. De mon point de vue, les mesures protectionnistes visant à lutter contre la circulation des biens sans toucher à la mondialisation des mouvements de capitaux revient un peu à prendre le problème à l’envers.
Notes
- ↑ 1https://data.worldbank.org/indicator/BN.GSR.GNFS.CD?locations=US attention, la forme du graphique n’est pas représentative de grand-chose, parce que les valeurs sont exprimées en dollar courant (ce qui ne tient pas compte de l’inflation).
- ↑ 2https://leftfootforward.org/2017/02/did-the-experts-really-predict-a-post-brexit-recession/